Hannah Arendt : The Human Condition pdf , Condition de l’homme moderne – Von Trotta film

The Human Condition – sduk

Caton : “Nunquam se plus ageret quam nihil cum ageret, nunquam minus solum esse quam cum solus esset.” (“Il ne se savait “jamais plus actif que lorsqu’il ne faisait rien, jamais moins seul que lorsqu’il était seul.”).” (p. 404)

Condition de l’homme moderne, Condition de l’homme moderne

C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté.”

“Plus la vie devient facile dans une société de consommateurs et de travailleurs, plus il devient difficile de rester conscient des forces de nécessité auxquelles elle obéit même quand le labeur et l’effort, manifestations extérieures de la nécessité, deviennent à peine sensibles. Le danger est qu’une telle société, éblouie par l’abondance de sa fécondité, prise dans le fonctionnement béat d’un processus sans fin, ne soit plus capable de reconnaître sa futilité – la futilité d’une vie qui (comme le dit Adam Smith), “ne se fixe ni ne se réalise en un sujet permanent qui dure après que son labeur est passé.” 

“Réfléchir, cela signifie penser de manière critique et réfléchir de manière critique. Cela signifie que chaque pensée sape ce qu’il y a en fait de règles rigides et de conventions générales. Tout ce qui se passe lorsqu’on pense est soumis à un examen critique, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de pensée dangereuse pour la simple raison que le fait de penser est en lui-même une entreprise très dangereuse. Mais ne pas penser est encore plus dangereux.” (propos recueillis dans une interview)

Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne (The Human Condition), Calmann-Lévy (coll. Agora), 1961 et 1983, traduit de l’anglais par Georges Fradier, préface de Paul Ricoeur.

Née à Hanovre (Allemagne) en 1906, dans une famille juive, Hannah Arendt montre très tôt les signes d’une grande précocité intellectuelle. Elève de Heidegger, puis de Husserl, elle soutient, à vingt-deux ans, son doctorat sur “le concept d’amour chez saint Augustin”, sous la direction de Karl Jaspers. En 1933, elle fuit l’Allemagne nazie et se réfugie en France, où elle résidera jusqu’en 1940. A Paris, elle milite dans des organisations sionistes, aux côtés d’intellectuels tels que Jean-Paul Sartre, Raymond Aron, Stéfan Zweig, ou encore Berthold Brecht. Elle y fait aussi la connaissance de Heinrich Blücher, un commuiniste allemand, qui l’épouse quelques années plus tard. En 1941, elle émigre aux Etats-Unis avec sa mère et son mari. Devenue citoyenne américaine, la publication de Les origines du totalitarisme en 1951, qui n’apparaît que vingt ans après en France, marque le début de sa renommée. Dès 1955, elle donne, dans diverses universités américaines, des conférences, qui seront reprises dans ses différents ouvrages : La crise de la cuture (1961), La Condition de l’homme moderne (1958) et L’Essai sur la révolution. Elle est, jusqu’à sa mort, professeur à la New School for Social research de New York. Hannah Arendt meurt à New York en 1975. Son dernier livre, resté inachevé, La vie de l’esprit, est publié après sa mort, en 1978.

“Notre siècle a totalement transformé le statut de l’homme : celui-ci est désormais un membre d’un ensemble qui le dépasse et dont il ne peut s’échapper. Il vit dans un monde où la technique prend de plus en plus d’importance, et où le politique s’impose sans possibilité d’écart ou de fuite (…) Hannah Arendt commence ici sa réflexion sur l’originalité radicale de notre époque. Elle pose les bases d’une réflexion qui permettra, peut-être, de se donner les moyens d’éviter les dérapages vers la violence aveugle, en comprenant en profondeur la dimension de “l’homme moderne”. Un nouvel humanisme ?”

“Le rapport entre Condition de l’homme moderne et Les origines du totalitarisme, explique Paul Ricoeur dans la Préface de l’ouvrage, résulte de l’inversion de la question posée par le totalitarisme ; si l’hypothèse : “tout est possible”, conduit à la destruction totale, quelles barrières et quelles ressources la condition humaine elle-même oppose-t-elle à cette hypothèse terroriste ? C’est ainsi qu’il faut lire Condition de l’homme moderne comme le livre de résistance et de la reconstruction.

Note p. 14 : Dès l’édition de 1951, Les origines du totalitarisme soulignait, dans son dernier paragraphe, l’urgence de la tâche imposée par le politologue au philosophe : “Les solutions totalitaires peuvent fort bien survivre à la chute des régimes totalitaires, sous la forme de tentations fortes qui surgiront chaque fois qu’il semblera impossible de soulager la misère politique, sociale et économique d’une manière qui soit digne de l’homme.”

Les principales manifestations “ontiques” de la condition de l’homme moderne sont l’utilisation de l’énergie atomique, le machinisme, la société de masse, la consommation et la conquête de l’espace. Arendt se propose de “comprendre” cette condition, mais aussi d’en montrer les limites et les périls à travers une analyse “historiale” de la civilisation occidentale.

“C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté.”

L’objet du livre est précisément de dire quelles sont ces activitésplus hautes, de ne pas les perdre de vue : « Ce que je propose est donc très simple : rien de plus que de penser ce que nous sommes en train de faire (what we are doing) », c’est-à-dire d’expliquer en quoi le progrès technique nous éloigne des préoccupations qui devraient être les nôtres, eu égard à la condition humaine

Hannah Arendt explique qu’elle va répondre à cette question de deux manières : tout d’abord de manière systématique, en exposant les trois principales activités de la condition humaine : le travail, l’œuvre et l’action, puis de manière historique en expliquant l’origine de l’aliénation du monde moderne (XXème siècle), à travers l’étude détaillée de l’époque moderne (XVIIème – XX siècles).

Note : Hannah Arendt distingue “le monde moderne”, inauguré par l’utilisation de l’énergie atomique et “l’époque moderne”, inauguré par le subjectivisme cartésien et l’invention du téléscope.

La démarche d’Hannah Arendt de la chose vers sa signification ontologique à travers son historialité s’apparente à celle de Martin Heidegger et lui doit sans doute quelque chose. La grande différence cependant ne réside pas dans la démarche mais dans le “point d’appui” des deux pensées. Pour Heidegger, ce point d’appui est la question de l’Etre et de l’authenticité de la réponse à son “appel” dans la parole. Pour Arendt ce point d’appui est la question de l’essence de la personne (le “daïmôn”) et la réponse en termes de “vocation” (“être appelé à”, “répondre à un appel, ce terme n’ayant pas de signification spécifiquement religieuse).

Pour Arendt, le point d’appui reste donc le “Dasein” dans sa manifestation la plus individuelle (et la plus individualisante) et non l’Etre : “eudaimonia” ne signifie ni bonheur, ni béatitude, c’est un mot que l’on ne peut traduire, ni peut-être même expliquer. Il exprime une idée de bénédiction, mais sans nuances religieuses, et signifie littéralement quelque chose comme le bien-être du daïmôn qui accompagne chacun des hommes dans sa vie, qui est son identité distincte, mais qui n’ apparaît, qui n’est visible qu’aux autres…” (p. 252)

On peut donc parler de “personnalisme”, mais d’un personnalisme qui ne repose pas sur une définition préalable (métaphysique) de la “nature humaine” et qui n’est pas non plus, à proprement parler un “humanisme”

C’est parce que chacun d’entre nous “possède” une essence qui lui est propre (plutôt qu’une “nature humaine”) qu’il peut éventuellement résister à la mainmise de la société moderne sur tous les aspects de la vie sous la forme du machinisme, de la technique et de la consommation. Ce n’est pas vers l’Etre (catégorie la plus vague et la plus générale) que nous devons nous tourner, mais vers nous-mêmes.

Chapitre Premier : La condition humaine.

Hannah Arendt propose le terme de “vita activa” pour désigner trois activités humaines fondamentales : le travail, l’oeuvre et l’action. “Elles sont fondamentales parce que chacune d’elles correspond aux conditions de base dans lesquelles la vie sur la terre est donnée à l’homme.”

a) le travail est l’activité qui correspond au processus biologique du corps humain, dont la croissance spontanée, le métabolisme et éventuellement la corruption, sont liés aux productions élémentaires dont le travail nourrit ce processus vital. La condition humaine du travail est la vie elle-même.

b) L’oeuvre est l’activité qui correspond à la non-naturalité de l’existence humaine, qui n’est pas incrustée dans l’espace et dont la mortalité n’est pas compensée par l’éternel retour cyclique de l’espèce. Le prologue de l’ouvrage évoque la lancée du “spoutnik” en 1957. L’espace humain est la Terre entière, contrairement aux animaux qui sont “incrustés” dans des “territoires” et l’espèce humaine échappe à toute “incrustation” par la conquête de l’espace “extra-terrestre”.

 

L’oeuvre fournit un monde “artificiel” d’objets, nettement différent de tout milieu naturel. C’est à l’intérieur de ses frontières que se loge chacune des vies individuelles, alors que ce monde lui-même est destiné à leur survivre et à les transcender toutes. La condition humaine de l’oeuvre est l’appartenance-au-monde.

c) L’action, la seule activité qui mette directement en rapport les hommes sans l’intermédiaire des objets ni de la matière, correspond à la condition humaine de la pluralité, au fait que ce sont des hommes et pas l’homme, qui vivent sur terre et habitent le monde. Si tous les aspects de la condition humaine ont de quelque façon rapport à la politique, cette pluralité est spécifiquement la condition – non seulement la conditio sine qua non, mais encore la conditio per quam – de toute vie politique.

Chapitre II : Le domaine public et le domaine privé.

Arendt examine la définition aristotélicienne de l’homme comme “animal politique” (et non comme “animal social”), étudie les relations entre le dehors et le dedans, la sphère privée et la sphère publique, la Polis et la famille (l’oïkos) dans l’antiquité grecque. Elle montre que l’avénement du social résulte de la distinction que font les Grecs entre ces deux sphères. Réflexion sur la notion de “propriété”, si importante dans la pensée moderne, depuis le XVIIIème siècle (John Locke), qui relève, chez les Grecs du domaine privé et n’a ni la même signification, ni la même importance qu’aujourd’hui.

Chapitre III : Le travail.

La principale caractéristique des temps modernes est le développement prodigieux de la technique et des “forces productives” et le rôle du travail. Arendt explique dans les premiers chapitres de son ouvrage que la conception moderne du travail a peu de choses à voir avec la conception que l’on s’en faisait dans l’antiquité grecque et romaine.

La valorisation du travail est une des principales caractéristiques du monde moderne. Elle va de pair avec la naissance du capitalisme (importance de la propriété privée et de l’accumulation du capital). Elle est étrangère au monde antique pour lequel le travail est synonyme de servitude. Lié à la nécessité de maintenir la vie corporelle et de subvenir aux besoins, le travail est réservé aux esclaves et relève, aussi étrange pour nous que cela paraisse, de la sphère privée. L’antiquité, aussi bien grecque que romaine sépare nettement le travail et l’oeuvre d’une part et l’action d’autre part et privilégie l’action, la vie politique.

Dans le monde moderne, le travail est devenue une réalité sociale (et même politique) ; l’esclavage a heureusement disparu, mais aussi la notion “de citoyen libre” se consacrant exclusivement à l’administration directe de la cité et dont la parole et l’action comptent réellement.

Les hommes sont devenus des “travailleurs” salariés et des “consommateurs” : “Plus la vie devient facile dans une société de consommateurs et de travailleurs, plus il devient difficile de rester conscient des forces de nécessité auxquelles elle obéit même quand le labeur et l’effort, manifestations extérieures de la nécessité, deviennent à peine sensibles. Le danger est qu’une telle société, éblouie par l’abondance de sa fécondité, prise dans le fonctionnement béat d’un processus sans fin, ne soit plus capable de reconnaître sa futilité – la futilité d’une vie qui (comme le dit Adam Smith), “ne se fixe ni ne se réalise en un sujet permanent qui dure après que son labeur est passé.” (p. 186)

Chapitre IV : L’oeuvre.

“L’oeuvre de nos mains, par opposition au travail de nos corps – l’homo faber qui fait, qui “ouvrage” par opposition à l’animal laborans qui peine et “assimile” -, fabrique l’infini variété des objets dont la somme constitue l’artifice humain. ce sont surtout, mais non exclusivement, des objets d’usage (…) L’usage auquel ils se prêtent ne les fait pas disparaître et ils donnent à l’artifice humain la stabilité, la solidité qui, seules, lui permettent d’héberger cette instable et mortelle créature, l’homme.”

La “durabilité” du monde “artificiel” fabriqué par l’homme s’oppose à la nature éphémère de l’homme. En produisant un monde de “choses”, l’homme crée un monde humain entre lui-même et la nature, un reflet de son propre esprit. Arendt examine ces “choses” particulières que l’on appelle des outils et des machines et explique la différence entre l’instrumentalité de l’animal laborans et celle de l’homo faber.

Elle examine par ailleurs la notion de “marché” et de “valeur”, ainsi que cette catégorie particulière d’oeuvre qu’est l’oeuvre d’art : “Si l’animal laborans a besoin de l’homo faber pour faciliter son travail et soulager sa peine, si les mortels ont besoin de lui pour édifier une patrie sur terre, les hommes de parole et d’action ont besoin aussi de l’homo faber en sa capacité la plus élevée : ils ont besoin de l’artiste, du poète et de l’historiographe, du bâtisseur de monuments ou de l’écrivain, car sans eux le seul produit de leur activité, l’histoire qu’ils jouent et qu’ils racontent, ne survivrait pas un instant.”

Chapitre V : L’action.

“Les hommes peuvent fort bien vivre sans travailler (…) Mais une vie sans parole et sans action (…) est littéralement morte au monde ; ce n’est plus une vie humaine, parce qu’elle n’est plus vécue parmi les hommes. C’est par le verbe et par l’acte que nous nous insérons dans le monde humain…” (p. 233)

L’action et la parole sont les deux modalités dans lesquelles se révèlent l’agent. Parole et action sont inséparables : l’acte ne prend un sens que par la parole dans laquelle l’agent s’identifie comme acteur, annonçant ce qu’il fait, ce qu’il a fait, ce qu’il veut faire. L’action révèle “qui” nous sommes (au-delà de “ce que” nous sommes), la personne cachée, le “daïmon”. Parole et action établissent un “réseau de relations” dans lesquelles chacun d’entre nous est pris de la naissance à la mort. “Que chaque vie individuelle entre la naissance et la mort puisse éventuellement être contée comme histoire ayant un commencement et une fin, c’est la condition prépolitique et préhistorique de l’Histoire, le grand conte sans commencement ni fin.”

La fragilité des affaires humaines (liée à la venue de générations nouvelles, Arendt insistera encore sur ce point dans La crise de la culture) et la tentation de la démesure (l’hubris) en politique, nécessitent la protection des Lois de la cité et justifie l’antique vertu de modération. L’avenir est imprévisible et le sens de nos actes nous est caché. Il réside dans l’histoire qui suit. Arendt rejoint ici le point de vue d’André Malraux : “La mort transforme la vie en destin.”

L’idée que l’homme ne puisse rien accomplir de plus grand que sa propre actualisation a contre elle la conviction de l’homo faber (les produits d’un homme peuvent lui être supérieurs et lui survivre) et de l’animal laborans (la vie est le bien suprême). Nous reconnaissons dans ces deux idéaux “apolitiques”, celui de l’homo faber et de l’animal laborans ceux-là mêmes de la modernité : embellir le monde et le rendre mieux utilisable, prolonger la vie en la rendant plus facile.

Ce n’est qu’assez récemment que les classes laborieuses ont accédé à l’espace politique (la parole et l’action) et y ont remporté de notables succès, tant que leurs revendications touchaient à la juste rétribution du travail, à l’amélioration des conditions de vie, au respect des libertés individuelles et syndicales (par exemple en France en 1848, en 1917, en Russie, au moment de la Commune de Kronstadt, en 1936 pendant le Front Populaire, en Hongrie, brièvement, en 1956 et, pourrait-on ajouter, en Pologne avec Solidarnosc dans les années 80). Elles ont échoué et se sont retournées contre le Peuple à chaque fois que ces revendications de justice, de dignité et de liberté sont devenues “politiques” et qu’elles ont été relayés par des Partis.

“On a toujours été tenté, chez les hommes d’action non moins que chez les hommes de pensée, de trouver un substitut à l’action dans l’espoir d’épargner au domaine des affaires humaines le hasard et l’irresponsabilité morale qui sont inhérents à la pluralité des agents.”(p. 283)

Hannah Arendt examine les différentes “solutions” qui ont été trouvées à ce problème de la “frustration triple de l’action” : imprévisibilité des résultats, irréversibilité des processus et anonymat des auteurs : monarchie, tyrannie, solution platonicienne du “roi-philosophe”… Elle explique que l’inconvénient de ces formes de gouvernement “n’est pas qu’ils soient cruels, mais qu’ils fonctionnent trop bien”.

Selon Hannah Arendt, Platon et à un degré moindre Aristote, tout en jugeant les artisans indignes d’être des citoyens de plein droit, furent les premiers à proposer de manier la politique et de gouverner l’Etat d’après la technique des métiers.

Cette substitution du faire à l’agir accompagne la dégradation de la politique comme moyen en vue d’une fin prétendue “plus haute”, dans l’antiquité (protection des “bons” contre les “mauvais”, sécurité du philosophe), au Moyen-âge (le salut des âmes) et à l’époque moderne où elle aboutit à une justification de l’emploi de la violence : “La violence est l’accoucheuse de toute vieille société grosse d’une société nouvelle.” (Marx)

La science moderne introduit l’action comme “processus” sans retour, “irrémédiable” et virtuellement irréversible au sein de la nature. “Grâce à l’expérimentation dans laquelle nous avons imposé aux processus naturels des conditions pensées par l’homme et par laquelle nous avons fait entrer de force ces processus dans des structures faites par l’homme, nous avons enfin appris à “reproduire le processus qui se déroule dans le soleil”, c’est-à-dire à obtenir des processus naturels sur terre les énergies qui, sans nous, ne se dégagent que dans l’univers. (p. 296)

L’animal laborans échappe au cycle perpétuel du processus vital en fabriquant des outils et des oeuvres durables. L’homo faber, à son tour, victime de l’impossibilité de trouver des normes valables dans un monde déterminé par la catégorie de l’utile, ne peut se libérer de cette condition que grâce à l’action et à la parole. “Au point de vue de l’animal laborans, il est miraculeux d’être aussi un être connaissant et habitant un monde ; au point de vue de l’homo faber, il est miraculeux qu’il puisse y avoir place en ce monde pour une signification.” (p. 302)

Contre l’irréversibilité et l’imprévisibilité du processus déclenché par l’action, le remède ne vient pas d’une faculté éventuellement supérieure, mais dans la faculté de pardonner et de promettre. “Dans la mesure où la morale est plus que la somme des moeurs, coutumes et normes de comportement solidifiées par la tradition, validées par le consentement, tradition et consentement qui changent avec le temps, elle ne peut s’appuyer, politiquement du moins, que sur le ferme propos de contrecarrer les risques énormes de l’action en acceptant de pardonner et d’être pardonné, de faire des promesses et de les tenir.” (p. 312)

Le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, “naturelle”, est le fait de la natalité, dans lequel s’enracine ontologiquement la faculté d’agir. Le chapitre se termine par une citation de l’Evangile : “Un enfant nous est né.”

“Cette fin inattendue, commente Paul Ricoeur, nous laissera moins intrigués, si nous la replaçons sur la trajectoire de l’expérience temporelle sous-jacente à l’anthropologie philosophique de Hannah Arendt (…) Notre mortalité est pour ainsi dire, réaffirmée à la fin de notre voyage. Que reste-t-il alors au penseur – non à l’animal politique – face à la mort ? L’exaltation de la naissance d’un nouveau commencement. Seule la natalité peut échapper aux illusions de l’immortalité de la part de mortels qui pensent l’éternité.”

Chapitre VI : La vita activa et l’âge moderne.

“Trois grands événements dominent le seuil de l’époque moderne et en fixent le caractère : la découverte de l’Amérique suivie de l’exploration du globe tout entier ; la Réforme qui, en expropriant les biens écclésiastiques et monastiques, commença le double processus de l’expropriation individuelle et de l’accumulation de la richesse sociale, l’invention du télescope et l’avénement d’une science nouvelle qui considère la nature terrestre du point de vue de l’univers.” Hannah Arendt étudie ces trois événements majeurs, ainsi que leurs conséquences et signale les risques d’aliénation dont ils sont porteurs.

Elle cite à ce propos, en exergue du chapitre, une phrase énigmatique de Franz Kafka : “Er hat den archimedischen Punkt gefunden, hat ihn aber gegen sich ausgenutzt, offenbar hat er ihn nur unter dieser Bedingung finden dürfen.” (Il a trouvé le point d’Archimède, mais il s’en est servi contre soi ; apparemment, il n’a eu le droit de le trouver qu’à cette condition.)

Cet “archimedischen Punkt” est la “découverte” que le critère de la vérité n’est pas dans les choses, mais dans la “res cogitans”.

Elle montre que le doute cartésien occupe désormais dans la pensée scientifique et philosophique la place que les anciens Grecs accordaient à l’émerveillement, “l’axe invisible de toute pensée” : “La philosophie de Descartes est hantée par deux cauchemars, qui en un sens sont devenus les cauchemars de toute l’époque moderne (…) Dans l’un la réalité, celle du monde, comme celle de la vie humaine, est mise en doute ; si l’on ne peut se fier ni aux sens, ni au sens commun, ni à la raison, il est fort possible que tout ce que nous prenons pour le réel ne soit qu’un rêve.

L’autre concerne la condition humaine en général telle que la révélaient les nouvelles découvertes (Copernic,Galilée) et l’impossibilité dans laquelle se trouve l’homme de se fier à ses sens et à sa raison ; dans ces circonstances, l’hypothèse d’un esprit malin, d’un “Dieu trompeur”, trahissant l’homme exprès, par méchanceté, est beaucoup plus vraisemblable que celle d’un Dieu maître de l’univers…”

Se référant à Whitehead, Arendt montre que la raison cartésienne est fondée tout entière sur le postulat implicite que l’esprit ne peut connaître que ce qu’il a produit et conserve en un sens à l’intérieur de soi-même ; ce postulat aboutit à “la reductio scientiae ad mathematicam‘ qui permet de remplacer ce qui est donné dans la sensation par un système d’équations mathématiques où toutes les relations réelles se dissolvent en rapports logiques entre des symboles artificiels. C’est cette substitution qui permet à la science moderne d’accomplir sa tâche, de produire les phénomènes et les objets qu’elle veut observer…” (p. 357)

Dans les dernières pages de l’ouvrage, Hannah Arendt confronte les caractères des temps modernes aux concepts opératoires à l’aide desquels elle a défini les caratéristiques de la condition humaine : le travail, l’oeuvre et l’action.

“Parmi les conséquences spirituelles des découvertes de l’époque moderne, la plus grave peut-être et, en même temps, la seule qui fût inévitable puisqu’elle suivit de près la découverte du point d’Archimède (la subjectivité humaine) et l’apparition connexe du doute cartésien, fut l’inversion des rangs de la vita contemplativa et de la vita activa dans l’ordre hiérarchique.” (p. 362)

La deuxième conséquence fut la victoire de l’homo faber, l’élévation du travail au sommet de la hiérarchie de la vita activa et la position centrale du concept de processus.

Elle montre que cette “victoire” fut cependant de courte durée,  comme en témoigne la rapidité avec laquelle le principe d’utilité, quintessence de sa conception du monde, soudain jugé insuffisant, dut céder sa place au principe du “plus grand bonheur du plus grand nombre”. (Jérémie Bentham)

“La défaite de l’homo faber peut s’expliquer par la transformation initiale de la physique en astrophysique, des sciences naturelles en science “universelle”. Il reste à expliquer pourquoi, à cette défaite, a répondu la victoire de l‘animal laborans, pourquoi, à l’avénement de la vita activa, le rang le plus élevé des capacités de l’homme a dû revenir précisément à l’activité du travail ou, autrement dit, pourquoi dans la diversité de la condition humaine et de ses facultés, la vie, précisément, a fait écarter toute autre considération.” (p. 391)

Hannah Arendt met en évidence l’influence décisive du christianisme et de la notion de “vie éternelle” qui conféra à la vie humaine une importance et une dignité qu’elle n’eut jamais auparavant. La société moderne a globalement perdu la foi en la vie éternelle (Arendt montre l’action corrosive du doute cartésien chez des penseurs chrétiens comme Pascal ou Kierkegaard), mais a conservé la foi en la vie, mais une vie désormais coupée de toute considération transcendantale (religieuse ou autre) et donc d’une vie qui se suffit à elle-même et d’où la dimension de l’action (réservée à une poignée de savants), de la parole et de l’oeuvre (réservée à une poignée d’artistes) tend à disparaître au profit d’une sorte de survie “hébétée” :

(…) Dès à présent, le mot travail est trop noble, trop ambitieux, pour désigner ce que nous croyons faire dans le monde où nous sommes. Le dernier acte de la société de travail, la société d’employés, exige de ses membres un pur fonctionnement automatique, comme si la vie individuelle était réellement submergée par le processus global de la vie de l’espèce, comme si la seule décision encore requise de l’individu était de lâcher, pour ainsi dire, d’abandonner son individualité, sa peine et son inquiétude de vivre encore individuellement senties, et d’acquiescer à un type de comportement, hébété, “tranquillisé” et fonctionnel.” (p. 400)

Reste la pensée que la tradition moderne et pré-moderne a écartée de la via activa : “Comme expérience vécue on a toujours admis, peut-être à tort, que la pensée est réservée à un petit nombre. Il n’est peut-être pas présomptueux de croire que ce petit nombre n’a pas diminué de nos jours. Il est possible que cela soit sans intérêt, ou de peu d’intérêt, pour l’avenir du monde ; ce n’est pas sans intérêt pour l’avenir de l’homme.

Car si l’on ne devait juger les diverses activités de la vita activa qu’à l’épreuve de l’activité vécue, si on ne les mesurait qu’à l’aune de la pure activité, il se pourrait que la pensée en tant que telle les surpassât toutes. Tous ceux qui ont quelque expérience en la matière reconnaîtront la justesse du mot de Caton : “Nunquam se plus ageret quam nihil cum ageret, nunquam minus solum esse quam cum solus esset.” (“Il ne se savait “jamais plus actif que lorsqu’il ne faisait rien, jamais moins seul que lorsqu’il était seul.”).” (p. 404)

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/hannah-arendt-condition-de-l-homme-180370

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