Hannah Arendt e l’antropologia filosofica MARIA TERESA PANSERA -the life of the mind – La vita della mente

“La vita della mente” è una delle opere più importanti di Hannah Arendt, quella che avrebbe dovuto costituire il suo testamento filosofico, l’epilogo delle sue riflessioni. Rimasta incompiuta per la morte dell’autrice, l’opera è poi stata pubblicata a cura dell’amica Mary McCarty. Il libro avrebbe dovuto comporsi di tre parti, ciascuna dedicata alle facoltà spirituali fondamentali: pensare, volere, giudicare. La Arendt poté terminare le prime due; della terza rimane un abbozzo pubblicato in appendice.”

The Life of the Mind – Hannah Arendt – Google Book

Etica & Politica / Ethics & Politics, X, 2008, 1, pp. 58-74

Hannah Arendt e l’antropologia filosofica

MARIA TERESA  PANSERA

Dipartimento di Filosofia Università Roma Tre

ABSTRACT

Hannah Arendt sets out to achieve a definition of “the human condition” that is based neither on the results of the scientific knowledge pursued by anthropology nor on the elaborations of philosophical thought as proposed by Husserl and Heidegger, but rather on an understanding of the original and authentic meaning of “humanaction.” In searching for an answer to the question “Who is man?,” in attempting to define his identity, Arendt bases her investigation on a phenomenological analysis of the conditions of human

existence, of the activities closely connected with it, and of the spaces in which these activities take place.This formulation, with which Arendt opens her work

The Human Condition,  solicits a comparison with German philosophical anthropology, in particular with that of Arnold Gehlen, especially with regard to the concept of “action.”.

Dalla natura dell’uomo  alla condizione umana

Hannah Arendt preferisce identificare nella «condizione umana» i caratteri

propri dell’uomo, piuttosto che riferirsi ad un più generale concetto di «natura umana». Gli esseri umani si trovano a vivere in una serie  di condizioni variabili, determinate sia biologicamente (vita – natalità) che storicamente (mondanità – pluralità), ma la loro peculiarità consiste nel non essere mai completamente riducibili a queste condizioni. Nella sua opera  Vita activa vuole giungere a una definizione della condizione umana che non si basi né sul primato della conoscenza scientifica perseguito dall’antropologia, né sul primato del pensiero filosofico, come indicato da Husserl e Heidegger.

Nel cercare una risposta alla domanda «chi è l’uomo?», nel provare a definirne  l’identità, la Arendt fonda la sua indagine su un’analisi fenomenologica delle condizioni dell’esistenza umana, delle attività che ad essa sono strettamente  connesse e degli spazi in cui queste ultime si svolgono.

Fin dalla loro nascita gli uomini entrano in rapporto con gli altri viventi (pluralità), trascorrono la  loro esistenza sulla terra  trasformando il mondo naturale in un mondo artificiale (mondanità), che essi stessi si sono creati con la loro attività per rendere l’ambiente naturale più consono alle loro necessità ed esigenze.

 Tutte queste  condizioni e realizzazioni, che emergono da un’analisi fenomenologica dell’esistenza umana, sono collegate con le atività proprie della Vita activa.

Si tratta di tre fondamentali ‘modelli dell’agire’, o meglio di tre categorie specifiche: il ‘lavoro’, l’‘opera’ e l’‘azione’, ognuna delle quali

«corrisponde ad una delle condizioni di base in cui la vita sulla Terra è stata data all’uomo».

Con il lavoro l’uomo provvede alla  sua sussistenza; con l’opera crea un  mondo «artificiale» ricco di quei manufatti che compensano le carenze biologiche e facilitano la sopravvivenza, infine con l’azione  pienamente umana, e  in particolare con l’azione politica corrispondente alla condizione della pluralità, si pone in relazione,entra in rapportocon gli altri e comunica con loro.

Hannah Arendt e l’antropologia filosofica – Università degli

La Relation entre Agir et Penser dans La Vie de l’Esprit de Hannah Arendt

 

Maria de Fatima Simões Francisco

Universidade de São Paulo

L’écrit de Hannah Arendt qui aborde le rapport entre pensée et action est le dernier, publié après sa mort et intitulé par l’éditeur The life of the mind (La vie de l’esprit). Il est remarquable que ce texte soit le seul à traiter délibérément et exhaustivement des activités de la vie de l’esprit dans une oeuvre essentiellement consacrée aux activités de lavita activa en général et à l’action en particulier. Il est enfin surprenant que, la philosophie de Hannah Arendt étant relative surtout à la vie politique, elle ait abordé, dans son dernier écrit, un thème qui, selon elle-même, n’a rien de politique mais est avant tout métaphysique, celui de la vie de l’esprit dans ses trois manifestations: la pensée, la volonté et le jugement. Tout se passe comme s’il y avait eu, à la fin de son oeuvre, un changement radical de parcours et d’intérêts. Ce qui attire l’attention dans ce changement thématique est qu’elle semble abandonner ses convictions antérieures concernant l’objet légitime d’une authentique philosophie politique et même renier la critique qu’elle faisait de la tradition philosophique politique à ce sujet. En fait, Hannah Arendt réaffirme tout au long de son oeuvre sa conviction que les aspects les plus authentiques et notables de la vie politique n’ont jamais été correctement traités par la philosophie; d’où la nécessité de le faire d’urgence, ce qui implique de créer une nouvelle tradition, tâche qu’elle se juge déjà en train d’accomplir. Aussi n’est-ce pas sans raison qu’on s’étonne de la voir abandonner sa thématique traditionnelle, pour s’intéresser longuement à l’objet illégitime de la tradition philosophique. Malgré tout, l’étonnement se dissipe lorsqu’on perçoit la raison profonde de cette apparente déviation. Le séjour final prolongé dans le domaine propre à la tradition philosophique, la métaphysique, dans La vie de l’esprit, prend un sens particulier: celui de la recherche des raisons de l’intérêt primordial du philosophe pour les activités mentales et en particulier pour la pensée, tout au long de cette tradition. L’examen approfondi des causes de la fidélité à cet objet, se révèle, en vérité, comme une partie essentielle du projet de création d’une nouvelle tradition philosophique. Maintenant, alors qu’il ne reste que des décombres de la vieille tradition, faisons-nous archéologues et découvrons les raisons de la fascination du philosophe pour la pensée. Une telle recherche permettra d’éclairer les raisons de l’abandon de cet autre objet: la vita activa et l’action. Dans le dernier de ses écrits, il n’y a pas eu de rupture avec des positions antérieures. C’est le même projet, qui a toujours orienté sa réflexion, qui prévaut et se réaffirme. Ce qui nous intéresse ici est de suivre Hannah Arendt dans ses analyses de La vie de l’esprit, dans la recherche archéologique parmi les décombres de la tradition, de façon à mieux comprendre, d’une part, la relation entre pensée et action selon la tradition et, d’autre part, celle préconisée par sa propre philosophie.

Puisque Hannah Arendt croit que l’histoire de la philosophie a revêtu l’aspect particulier d’une tradition, c’est à dire de la transmission remplie de vénération du trésor laissé par le passé pour l’avenir(1), les premières évaluations, dépréciatives, de la philosophie grecque classique vis-à-vis de la vita activa ont fait autorité et figure de paradigme pour les générations de philosophes qui ont suivi. Les analyses de Arendt, concernant les prises de position à l’origine de l’histoire de la philosophie, sont principalement exposées dans deux de ses écrits: La crise de la culture et La condition de l’homme moderne. Les conséquences de l’autorité de la philosophie grecque pour l’action et la vie politique – qui, avec le travail et l’oeuvre font un tout que la tradition philosophique a appelé vita activa – seront les plus pernicieuses. La principale de ces conséquences sera que les plus importantes et authentiques expériences faites dans la sphère politique au cours de l’histoire, n’ont mérité presque aucune approche conceptuelle de la part de la philosophie et sont tombées dans l’oubli à peine terminées, car ce qui n’est pas conceptualisé et ordonné par la pensée, ne peut être reçu et gardé par la mémoire. Ces expériences ne font pas partie du patrimoine du passé, c’est-à-dire de l’ensemble des récits qui relatent les expériences les plus précieuses du passé et qui sont transmis de génération en génération. La philosophie a joué un rôle décisif dans cette exclusion car il lui incombait de créer des catégories conceptuelles, pour transformer ces expériences en récits, ce qui est la manière humaine de rendre intelligibles les faits qui arrivent aux hommes. Ce pour quoi il n’existe pas de catégories conceptuelles qui le rende compréhensible, ne peut être compris, ne peut revêtir la forme de récit, est oublié et, pire encore, c’est comme s’il n’avait pas réussi à avoir une existence quelconque. Notre auteur pense que c’est ce qui s’est passé, dans la tradition occidentale, avec la partie la plus importante de l’histoire de la vie politique, laquelle gît dans un souterrain de l’histoire, exclue du trésor du passé transmis par la tradition. Outre l’oubli, les appréciations de la tradition philosophique à propos de l’action ont eu une deuxième conséquence, presque aussi pernicieuse que la première: elles ont influencé le concept qu’a eu l’homme du commun, le non-philosophe, de l’action tout au long de l’histoire et, indirectement, l’organisation de la vie politique et même la production d’expériences politiques authentiques.

Nous voyons que Hannah Arendt donne beaucoup d’importance à ce qu’elle appelle tradition philosophique dans les détournements de l’action à travers l’histoire. Elle juge l’autorité de cette tradition si déterminante qu’elle croit que seules sont possibles trois tâches urgentes – la récupération et la redécouverte des expériences politiques qui ont été oubliées, la compréhension de leurs aspects les plus importants et la restitution de la valeur de la vie politique pour l’homme – une fois que cette tradition perd sa force et arrive à sa fin. C’est précisément à un tel moment que Hannah Arendt croit vivre, moment privilégié comme elle le considère, car il devient possible de se libérer des présupposés de cette tradition et de faire les premiers efforts en vue de réaliser ces trois tâches qui prennent le sens de fondation d’une nouvelle et cette fois authentique philosophie de la vie politique. Cependant, il semble à Hannah Arendt qu’une telle fondation ne sera possible que si, préalablement, on parcourt les décombres de la vieille tradition et si on met à jour les causes des évaluations dépréciatives du philosophe concernant l’action, ce qui équivaut à examiner les rapports entre la philosophie et l’action tout au long de la tradition. Cette recherche archéologique permettra de répondre à une inquiétude fondamentale, conséquence naturelle de l’expérience d’une longue tradition de philosophie anti-politique: une philosophie de la vie politique est-elle possible?

L’histoire des rapports entre la philosophie et l’action, selon Hannah Arendt, est celle d’un conflit, non pas dirigé par les hommes d’action contre les hommes de pensée , mais plutôt le contraire. Dans l’histoire, les faits qui démontrent une hostilité de l’action envers la philosophie sont rares; par contre, de nombreux indices montrent l’inverse(2). Cette constatation conduit à poser une question primordiale: Pourquoi dans la tradition occidentale, le philosophe – dont la vie est, par définition, intégralement dédiée à la pensée, s’est-il toujours méfié et opposé à la vie politique dont le centre est occupé par l’action? Cette question nous renvoie à deux autres : le conflit entre la philosophie et la politique refléterait-il une opposition naturelle entre penser et agir, qui découlerait de la profonde différence ontologique entre ces deux activités, et serait-il par conséquent insurmontable? Ou bien, malgré la grande différence de nature, voire l’opposition, entre ces deux activités, la conciliation entre elles est-elle possible, le conflit entre la philosophie et la politique n’étant que la conséquence de la manière particulière – disons professionnelle – dont le philosophe vit l’activité de penser?

C’est pour répondre à ces questions que Hannah Arendt dévie apparemment de sa ligne de réflexion et fait une incursion dans la problématique classique de la tradition philosophique – la vie de l’esprit. La fréquentation des thèmes les plus chers à la métaphysique, de leurs concepts et sophismes, prend le sens de la recherche d’une réponse à la question de la possibilité même d’une authentique philosophie politique. Il devient nécessaire d’examiner les expériences du moi pensant pour pouvoir décider si, en parlant de philosophie politique, on n’énonce pas une contradiction dans les termes. Sa conclusion sera que, en dépit de la différence de nature et même de l’opposition entre pensée et action, cela n’empêche de concevoir une conciliation entre les deux activités. Il doit être possible, et c’est d’ailleurs urgent – si l’on tient compte des fonctions irremplaçables que la pensée a dans la vie pratique de l’homme du commun – de retrouver et de revaloriser, au-delà de toutes les différences, les liens étroits qui existent entre les deux activités. Ces liens devraient être recherchés non pas dans l’usage théorique, scientifique ou professionnel que le philosophe fait de la pensée, mais dans celui, pratique, qu’en fait l’homme du commun. Car dans cet usage, la contradiction, qui se radicalise dans l’expérience du philosophe, s’atténue et même disparaît.

Les analyses consacrées aux activités mentales de la pensée, de la volonté et du jugement, que Hannah Arendt fait dans les deux tomes de La vie de l’esprit prennent explicitement le sens d’une incursion dans les fragments d’une tradition philosophique déjà démantelée et sans autorité(3). Ceci pour mettre à jour ce qui se trouve non explicité, à savoir les expériences sous-jacentes à la conception philosophique de ces trois activités mentales.

Le point de mire de l’auteur est précisément la connexion entre la conceptualisation de chaque activité et l’expérience que le philosophe en a eu. Un des présupposés de l’analyse est que la manière dont le philosophe comprend une activité mentale découle directement des expériences qu’il a vécues dans l’exercice de cette activité. Quelques concepts centraux de la métaphysique grecque seront perçus comme des sophismes élaborés à partir de l’expérience du philosophe de l’activité de penser(4). Cette recherche des expériences du moi pensant n’est cependant pas facile à réaliser car, comme le pense Hannah Arendt, bien que l’histoire de la philosophie soit prolixe sur les objets de la pensée, elle est laconique sur le processus de penser et les expériences du moi pensant(5).

L’archéologie des expériences du philosophe sur la pensée, a amené Hannah Arendt à découvrir trois présupposés chers à la tradition philosophique, relativement à trois questions : à qui incombe l’exercice de la pensée, quel doit en être l’objet et dans quelles conditions doit-elle s’exercer? En premier lieu, la tradition philosophique a toujours présumé que la pensée était le privilège de quelques-uns, les penseurs professionnels, c’est-à-dire les philosophes eux-mêmes, étant entendu que seuls ceux qui s’étaient beaucoup efforcés d’acquérir des techniques raffinées de raisonnement pouvaient vraiment exercer la pensée. De telle sorte que la multitude, dans sa vie quotidienne, n’exerçait pas, à strictement parler, la pensée. De plus, la tradition philosophique a toujours affirmé avec force que le vrai et le légitime usage de la pensée était dans la recherche du savoir(6).

L’activité de penser s’exerce stricto sensu lorsqu’elle agit dans un but scientifique, pour une soif de savoir. La pensée, lorsqu’elle est mise au service de la connaissance, se transforme ainsi en recherche de réponse à une question posée. Cependant, par opposition à cette définition de l’usage vrai et légitime de la pensée, l’usage, éminemment pratique, qu’en fait l’homme du commun dans sa vie quotidienne, peut être tenu, comme il l’a été par la philosophie, pour impropre, déplacé et étranger aux potentialités les plus authentiques de cette activité. Cela signifie, en un mot, que la philosophie a toujours fait croire que la véritable vocation de la pensée est théorique et non pratique, et pour ainsi dire, que la raison est, dans sa véritable nature, pure et non pratique.

Le troisième présupposé de la tradition philosophique a été que la solitude et la quiétude absolue étaient des conditions nécessaires à l’exercice de la pensée. Penser, pour ceux qui considéraient à juste titre qu’ils l’exerçaient, exigeait une double privation, dont le sens est un retrait (withdrawal) radical du monde: d’un côté, se priver de la compagnie des hommes pour trouver la solitude qui permettrait la contemplation et d’un autre côté, s’abstenir des occupations de la vie quotidienne, afin d’atteindre la quiétude indispensable au déroulement des enchaînements raffinés du raisonnement. Encore une fois, la pensée, au sens strict, reste étrangère à l’homme du commun et à sa vie pratique, étant donné qu’il s’y trouve en permanence en compagnie des autres et qu’il est très occupé par les besognes nécessaires à son existence – lesquelles sont trois formes différentes de faire: l’une destinée à perpétuer la vie biologique, le travail, l’autre à construire l’ensemble des objets techniques qui composent le monde et le rendent durable, l’oeuvre, et enfin la troisième, destinée à doter l’homme d’une existence politique, l’action – il lui manque précisément les conditions préalables à ce que l’on juge être l’exercice légitime de la pensée(7).

Ces trois présupposés ont joué le rôle d’axiomes, de vérités nécessaires, et ont fait autorité tout au long de la tradition philosophique. Ils avaient comme point commun l’idée que la pensée, au sens strict, n’avait aucun espace dans la vie de l’homme du commun et n’avait rien à voir avec ce que celui-ci dénommait penser. La principale conséquence de ces présupposés a été l’introduction par la philosophie de l’idée de deux formes de vie radicalement opposées: lavita contemplativa du philosophe, centrée sur le penser et la vita activa de l’homme du commun, centrée sur le faire. Deux styles profondément différents et même inconciliables en tous points ont été élaborés par le philosophe pour chacune de ces deux formes de vie. Celui qui adoptait l’une était exclu de l’autre, les deux formes de vie étant incommunicables entre elles car le penser et le faire étaient, par définition, incompatibles. Hannah Arendt pense que la séparation forgée par le philosophe entre les deux formes de vie, peut expliquer une grande partie de l’échec de la tradition dans l’élaboration d’une authentique philosophie de la vie politique.

Hannah Arendt met en doute cette prétendue opposition entre penser et faire. Elle reconnaît bien la contradiction profonde entre la vie du philosophe et celle de l’homme du commun, que la tradition a finalement réussi à imposer. Mais elle ne croit pas que, à partir de là, on puisse déduire, postuler ou justifier une incompatibilité structurelle entre penser et faire ou entre la pensée et la vie pratique de l’homme. Elle met en question le caractère de vérité évidente, d’axiome, des trois présupposés de la tradition concernant la place naturelle de la pensée, son véritable objet, et les conditions nécessaires à son déroulement. En d’autres termes, elle doute que la pensée soit mal logée, mal placée et proprement out of order, dans la vie pratique de l’homme. Ce que souhaite notre auteur, en totale contradiction avec la tradition philosophique, c’est réfuter chacun des trois présupposés, en démontrant que la pensée a naturellement sa place dans la vie de l’homme du commun, et de plus, que ce n’est que là qu’elle peut en avoir une; penser ne consiste pas à parcourir des chaînes raffinées de raisonnement selon des règles logiques strictes visant la recherche du savoir et permettant des réponses nécessaires. En un mot, penser n’est pas l’activité qu’elle est devenue avec la philosophie, le monopole de quelques uns et la servante de la science. Si elle s’est ainsi transformée, c’est plutôt par une espèce de déformation et de déviation que par vocation naturelle. De plus, bien que la solitude et l’absence d’occupations soient, en effet, deux conditions pour le penser, il n’est absolument pas vrai que cela se confonde avec un isolement absolu et une totale inactivité, comme le prétendait la tradition. Cette découverte a déjà le pouvoir de réduire le fossé qui sépare cette activité mentale de la vie de l’homme du commun, pleine de compagnie et d’occupations.

Au sujet de cet audacieux projet de subversion radicale de la conception traditionnelle de la pensée on peut poser deux sortes de questions.

La première concerne la nécessité d’un tel projet: pourquoi Hannah Arendt juge-t-elle nécessaire de nier que la place naturelle de la pensée soit la vie philosophique et d’affirmer, au contraire, que la place naturelle de cette activité mentale est la vie pratique de l’homme du commun? Pourquoi est-il nécessaire de restituer la pensée à la vie de l’homme d’action dont, prétend-elle, le philosophe l’a dépouillé, en en faisant son monopole sans en avoir le droit?

La seconde sorte de questions a trait à la viabilité d’un tel projet. Jusqu’à quel point les divergences entre penser et faire, reconnues par Hannah Arendt, peuvent-elles être dépassées de façon à ce que ces activités puissent coexister et trouver au même titre leur place dans la vie de l’homme du commun? Ou encore, jusqu’à quel point peut-on délivrer la pensée du monopole philosophique et, en même temps, nier les usages théorique et scientifique auxquels elle s’est toujours prêtée?

De la première sorte de questions, Hannah Arendt a clairement traité. Nous pourrions dire, synthétiquement, qu’elle croit que de la pensée dépend la mise en oeuvre de deux fonctions préventives cruciales dans la vie pratique de l’homme: l’une éthique, l’autre politique. Notre auteur va jusqu’à attribuer à la pensée un pouvoir de régulation éthique de la conduite et de prévention du mal dans la sphère des affaires humaines. La seconde fonction est également préventive: il s’agit de prévenir l’installation de régimes politiques capables de pervertir radicalement et à tout moment, les valeurs et les principes les plus chers adoptés par les sociétés humaines au cours de l’histoire. Voyons plus en détail le sens de chacune de ces fonctions.

La pensée ne peut être usurpée comme elle l’a été de la vie pratique et devenir le monopole de quelques uns, parce qu’elle est la seule à pouvoir jouer un rôle crucial dans la sphère des affaires humaines. Seule la pensée, et non l’habitude et la coutume, comme beaucoup l’ont cru, a un pouvoir de régulation éthique de la conduite(8). En affirmant qu’il y a un lien étroit entre la pensée et la conduite morale, Hannah Arendt reprend l’intellectualisme moral et en particulier celui de Socrate. Il faut remarquer aussi que les dialogues socratiques seront la source d’inspiration la plus importante de sa conception de la pensée. Socrate avait raison d’inviter ses concitoyens à rechercher la nature de la justice, du courage, de la piété et des autres vertus, et de penser qu’une telle discussion aurait le pouvoir de modifier leurs conduites. Mais Hannah Arendt pense que l’efficacité de cette recherche dans la prévention de la conduite mauvaise proviendrait non des résultats positifs éventuellement obtenus, c’est-à-dire, des définitions trouvées, qui pourraient fonctionner comme règles morales pratiques, mais du simple fait de penser que suppose la recherche, et cela indépendamment de la production de réponses finales aux questions posées. Le simple fait de penser porte en lui un effet de régulation morale, qu’il produise ou non des résultats positifs applicables à la conduite. Ce serait précisément cet effet, provoquer la réflexion, que Socrate recherchait lorsqu’il invitait ses interlocuteurs à s’interroger sur les vertus.

Mais par quels mécanismes le simple fait de penser produit-il un effet de prévention du mal? Dans sa recherche archéologique sur les expériences du moi pensant, Hannah Arendt a découvert que la pensée n’est pas quiétude absolue et solitude comme le voulait la tradition, mais est pleine d’activité et de compagnie. Elle a deux qualités intimement liées: la réflexibilité et la dualité. Par la première la pensée consiste dans le repli du moi sur lui-même; par la seconde, dans l’actualisation de la faille du moi en deux interlocuteurs qui se présentent à la conscience(9). Penser n’est rien d’autre que le dialogue intérieur entre deux partenaires, qui surgissent lorsqu’on se retire du monde présentement donné aux sens et qu’on se met à contempler l’invisible. C’est ici que Hannah Arendt commence à nous mettre sur la voie de ce qu’elle entend par penser. Dans la mesure où il est réflexif, le repli sur soi, est plein d’activité bien qu’il s’agisse d’une activité interne de l’esprit et hors du monde. Dans la mesure où il est duel, l’actualisation de la division du moi en deux partenaires, implique la compagnie. Or, l’effet de prévention du mal se produit dans le simple exercice de penser, même s’il ne donne pas lieu à des résultats positifs, carl’amitié entre les partenaires qui surgissent de l’instauration de la conscience est une condition sine qua non pour l’exercice de la pensée. La pratique du mal écarte toute possibilité d’amitié entre les partenaires car, si l’un d’eux est témoin du mal fait par l’autre, il ne pourra pas supporter d’être en compagnie d’un malfaiteur. C’est au nom de la possibilité d’installer cet espace intérieur de la pensée, la conscience, et du dialogue entre les partenaires qui en naît que la pratique du mal pourra être évitée(10). Hannah Arendt souligne cependant, d’une manière surprenante, que cet effet de prévention du mal, en dépit de l’importance qu’il a pour les affaires humaines, n’est qu’un effet accessoire (by product) de la pensée et non sa finalité propre(11). Il se produit non comme un effet recherché, mais de façon circonstancielle, au cours du processus de la pensée. Notre auteur répète inlassablement que nous nous tromperions sur les finalités de la pensée si nous croyions que, par nature, elle était destinée à produire un effet moral. Il semble cependant paradoxal qu’elle donne à ce qui n’est qu’un effet accessoire une fonction aussi vitale pour les affaires humaines: celle de fondement le plus ferme de la morale.

De même que, dans sa fonction éthique, la pensée ne se développe pas en fournissant des règles pratiques de conduite – à la manière des dialogues socratiques, toujours aporétiques – mais préventivement, en indiquant ce qu’on ne doit pas faire, comme le daimon socratique, ainsi, dans sa fonction politique, la pensée aura plutôt pour effet d’éviter des situations politiques critiques (boundary situations) que de fournir des solutions aux problèmes politiques. Qu’est-ce que Hannah Arendt entend par situation politique critique? Il est nécessaire de se rappeler qu’une partie de ses textes se proposent de rendre intelligibles certains phénomènes politiques contemporains, les régimes totalitaires. A son avis ces régimes représentent des situations politiques critiques, car ils déforment la sphère des affaires humaines en introduisant des idées et des pratiques sans précédent dans notre histoire et en détruisant les valeurs politiques et éthiques les plus fondamentales, valeurs qui, depuis longtemps éprouvées par de nombreuses générations, donnaient à la sphère des affaires humaines stabilité et fiabilité. Cependant, comment la pensée peut-elle contribuer à la prévention de telles situations politiques critiques?

L’activité de penser, telle que Hannah Arendt la conçoit, trouve, comme nous l’avons déjà dit, son paradigme dans les dialogues socratiques.

Ce que faisait Socrate était d’inviter ses concitoyens à s’interroger sur le sens des valeurs qui réglaient leur conduite: la justice, le courage, la piété, la beauté etc. L’exercice de penser a pour objet l’invisible, l’imperceptible aux sens, comme les concepts, les idées, les catégories etc. Selon Socrate le penser, dans sa vocation pratique, prend pour objet l’invisible dans la sphère des affaires humaines, c’est-à-dire les valeurs ou les mesures invisibles. Ce que fait le penser avec ces objets est particulièrement important: il pose des questions sur leur signification laquelle ne sera cependant jamais trouvée, car penser est pure energeia, activité qui, au sens aristotélicien du terme, ne laisse d’elle aucun produit lorsqu’elle cesse. Cependant les effets du penser ne se bornent pas à l’absence de résultats positifs, des règles qui, en déchiffrant la valeur en question, pourraient orienter la conduite. La pensée entraîne des résultats proprement négatifs lorsque la valeur soumise à la recherche devient, après ses attaques critiques, plus vide et moins claire à celui qui voulait la mettre en pratique. Ainsi, non seulement la pensée ne crée pas de nouvelles valeurs ni ne reconstruit les anciennes, mais elle peut aussi représenter une sérieuse menace au maintien de ces dernières. Hannah Arendt avertit que le danger permanent du penser est le nihilisme, le rejet absolu de toutes les valeurs. On se demande comment Hannah Arendt peut encore concevoir une fonction positive de la pensée(12).

Cette fonction, croit-elle, se montre clairement dans la prévention de situations politiques critiques, lesquelles sont rendues possibles précisément grâce à l’absence de pensée. Lorsque dans une certaine société les hommes qui ont perdu l’habitude de penser obéissent machinalement aux coutumes et aux règles de conduite, n’importe qui, s’il le désire, peut altérer radicalement le contenu de ces règles. Si les hommes n’ont pas pour habitude de penser, de se demander le pourquoi de certaines règles, n’importe quel aventurier peut altérer jusqu’à la déformation la sphère des affaires humaines. C’est ce qui est arrivé précisément à la société allemande pendant le nazisme. L’absence d’exercice curatif de la pensée a rendu possibles et même assimilables et courantes des pratiques considérées comme inconcevables et inadmissibles par toute l’histoire occidentale(13). La pensée doit donc être sauvée de la vie philosophique et rendue à la vie pratique de l’homme car elle y acquiert le sens de fondement le plus ferme de la morale, et aussi de la politique.

Voyons maintenant la deuxième sorte de questions qui concerne la viabilité de la conciliation de la pensée et de l’action malgré leurs natures différentes.

La différence primordiale entre les deux activités découle du fait que l’action appartient au monde des apparences et y est entièrement développée, tandis que la pensée consiste en un retrait radical de ce monde. Cette différence apparaît encore plus profonde dans la mesure où l’action est, parmi les activités développées dans le monde, la vita activa, celle qui y est le plus enracinée et lui appartient le plus. La pensée, à son tour, est parmi les activités mentales, celle qui s’éloigne et se retire le plus du monde. Il existe donc, non seulement une opposition relative mais une opposition radicale entre les deux activités.

Ce monde étant un monde d’apparences, c’est-à-dire d’une nature phénoménique, tout ce qui en fait partie est destiné à être vu par quelqu’un. Exister dans ce monde signifie que l’on dispose de qualités qui permettent tant d’apparaître aux autres que d’être spectateur de son apparition. Un autre facteur important de ce monde est qu’il présuppose la pluralité comme une loi fondamentale. Tel qu’il est caractérisé par Hannah Arendt, le monde a l’aspect d’un théâtre avec des acteurs, des spectateurs et des représentations. Si le fait d’apparaître et d’être vu sont les attributs qui définissent ce monde des apparences, l’action est, par sa nature, l’activité de la vita activa, qui, plus que les autres, y trouve son espace propre et lui est le plus naturellement lié. Car les finalités du travail et de l’oeuvre sont respectivement la reproduction de la vie et la production d’objets techniques qui, en tant que tel, ne dépendent ni de leur visibilité ni de leur apparition dans le monde. La finalité de l’action, à son tour, est la révélation de l’identité singulière de l’agent, et c’est pourquoi elle dépend complètement de la présence d’un public qui la reconnaisse et la garde en mémoire, ce qui est la seule manière pour que les actes humains, qui sont fugaces, puissent avoir quelque existence au delà de l’instant où ils ont lieu.

La pensée, nous l’avons vu, est parmi les trois activités mentales, celle qui se retire le plus du monde.Toute activité mentale accomplit un retrait du monde en ce sens que l’esprit cesse de le percevoir et se tourne vers ce qui en est absent. Le moi, lorsqu’il veut ou lorsqu’il juge, abandonne ce monde pour contempler ce qui en est absent, que ce soit le futur, objet de la volonté, ou le passé, objet du jugement. Mais l’abandon auquel procèdent ces deux activités est seulement temporaire, car le retour au monde est le propre de la volonté et du jugement qui gardent encore des liens avec lui. La pensée, elle, se retire du monde sans aucune nécessité d’y retourner. Cela n’arrive que lorsque le moi pensant est interrompu dans son activité. Une autre différence fondamentale entre la pensée et les deux autres activités est le type d’ objet absent auquel la pensée a à faire. L’objet de la pensée est encore plus absent de ce monde que celui des deux autres activités. L’objet absent de la pensée n’est pas un absent quelconque, comme un certain objet du monde dont on peut se faire une image mentale lorsqu’il n’est pas présent aux sens. Pour Hannah Arendt, l’absent, véritable objet de la pensée, ce sont les concepts, les catégories, les idées, etc., c’est-à-dire des entités qui ne peuvent faire partie du monde perçu par les sens et qui ont été construites par un travail de l’esprit. Dans ce sens, la pensée a des objets très semblables à ceux de la métaphysique. Curieusement, Hannah Arendt semble être d’accord avec la tradition philosophique quant à ce que veut dire exercer la pensée et sur ce que sont ses propres objets. Reste à savoir comment elle pourra montrer que la pensée, entendue comme une activité qui a un objet absent, élaboré par l’esprit et qui se retire radicalement du monde, est compatible avec la vie pratique de l’homme du commun dans un monde des apparences.

En vérité, Hannah Arendt paraît ne pas voir là de réelles difficultés à concilier la pensée et la vie pratique de l’homme. Elle nous dit que cette activité qui a pour objet un type déterminé d’absent du monde, les concepts, les catégories, les idées, etc., n’est pas étrangère à l’homme commun. Celui-ci l’exerce par exemple lorsqu’il élabore un récit à partir d’un événement qu’il a vécu ou lorsqu’il écrit un poème. Hannah Arendt croit même qu’avant d’être un monopole de la philosophie, la pensée était partie intégrante de la vie de l’homme du commun et de plus, que les questions métaphysiques que la philosophie a toujours discutées, surgissent, en vérité, d’expériences de l’homme du commun(14). La preuve que la pensée est parfaitement compatible avec la vie d’occupations de l’homme du commun est que Socrate lui-même passait de la sphère de la pensée à celle de l’action sans aucune difficulté(15). L’opposition extrême entre la pensée et l’action, bien qu’irréfutable, n’arrive pas à empêcher leur cohabitation dans la vie de l’homme du commun. Ce n’est que lorsque la pensée devient l’activité exclusive du philosophe, un penseur professionnel, que l’opposition entre pensée et action devient insurmontable. Pour le reste, la pensée montre quelques dispositions à se concilier avec l’action. Dans la mesure où elle est le dialogue intérieur entre les deux partenaires issus de la division du moi, elle manifeste deux dispositions proprement politiques et “mondaines”: la pluralité, loi de la terre, et le consensus, principe de la génération du pouvoir dans la sphère publique. De plus, dans la mesure où elle installe un espace de non-temps au coeur du temps, dans lequel se présentent le passé et le futur, elle manifeste une autre potentialité politique: celle de permettre la communication entre les générations humaines sur la terre. Dans une situation politique critique, nous avons vu, la pensée a le pouvoir de prévenir les fausses valeurs et fausses croyances et, par suite, celui de nous préparer à la faculté du jugement, ce qui est la plus politique des activités mentales(16). Pour toutes ces raisons, auxquelles il faut ajouter la fonction de régulation éthique, nous voyons que la pensée conserve d’importantes affinités avec l’action, la politique et le monde des apparences. Bien qu’elle découvre, en visitant les décombres de la tradition philosophique, les raisons pour lesquelles la pensée s’est toujours opposée à l’action et à la politique, Hannah Arendt se refuse à croire qu’elle n’ait pas une place propre dans la vie de l’homme du commun.


1. “Le commencement est, selon les mots de Jacob Burckhardt, comme l’ accord fondamental’ dont les modulations infinies se font entendre au cours de toute l’histoire de la pensée occidentale.”La Crise de la Culture, Paris: Editions Gallimard, 1972, p. 29.

2. “Les philosophes ont vu, dans cette guerre intestine, l’effet de l’hostilité normale de la multitude et ses opinions envers la minorité et sa vérité; mais les faits historiques qui corroborent cette interprétation sont plutôt clairsemés.”, La vie de l’esprit, Paris: Presses Universitaires de France, 1981, vol. I, p. 98.

3. “Je me suis clairement rangée sous la bannière de ceux qui, depuis pas mal de temps, s’efforcent de démanteler la métaphysique ainsi que la philosophie et ses catégories, telles que nous les connaissons toutes deux, depuis leurs débuts en Grèce et jusqu’à ce jour”, La vie de L’esprit, I, p. 237.

4. “J’ai parlé des ‘arguments spécieux de la métaphysique’ qui, on l’a vu, offrent des indications non négligeables de ce que peut bien être cette activité curieuse, hors de l’ordre, appelée pensée”, La vie de l’esprit, I, p. 236.

5. “Toute l’histoire de la philosophie, qui en dit tant sur l’objet, et si peu sur le processus de pensée et ce que traverse le moi” La vie de l’esprit, I p. 98.

6. La vie de l’esprit , I, § 8, “Science et sens commun”.

7. “La vie active est ‘laborieuse’, la vie contemplative tranquillité pure; la vie active se déroule en public, la vie contemplative ‘au désert’; la vie active est vouée à ‘la nécessité d’un voisinage’, la vie contemplative à ‘la vision de Dieu’”, La vie de l’esprit, I, p. 21.

8. “La question impossible à éluder était celle-ci: l’activité de penser en elle-même, l’habitude d’examiner tout ce qui vient à se produire ou attire l’attention, sans préjuger du contenu spécifique ou des conséquences, cette activité donc fait-elle partie des conditions qui poussent l’homme à éviter le mal et même le conditionnent négativement à son égard?”, La vie de l’esprit, I, p. 20.

9. “Toutes les activités mentales elles-mêmes témoignent, par leur nature réflexive, d’une dualité inséparable de la conscience; on ne peut être actif, mentalement, qu’en retournant l’action, explicitement ou implicitement, sur soi-même”, La vie de L’esprit, I, p. 91. “L’activité mentale et, nous le verrons plus tard, la pensée tout spécialement – le dialogue silencieux du je avec lui-même – peut se concevoir comme l’actualisation de la dualité originelle, de la faille entre moi et moi-même inhérente à toute conscience”, La vie de l’esprit, I, pp.91-92.

10. “Pour Socrate, la dualité du deux-en-un signifiait tout simplement que si l’on veut penser, il faut s’arranger pour que les deux interlocuteurs soient en bonne forme et soient amis l’un de l’autre. Le partenaire qui fait son apparition quand on est seul, l’esprit en éveil, est bien le seul qu’on ne puisse jamais planter là – si ce n’est en cessant de penser. Il vaut mieux subir le mal que le faire, parce qu’on peut rester ami de la victime; mais qui irait être l’ami d’un meurtrier, vivre avec lui? Pas même un autre meurtrier”,La vie de l’esprit, I, p. 213. “Quelles que soient les voies qu’emprunte l’ego pensant dans son cheminement, le moi que nous sommes tous doit s’efforcer de ne rien faire qui rende impossible l’amitié et l’harmonie entre les deux-en-un”, La vie de l’esprit, I, p. 217.

11. “Pour le moi pensant et les expériences qu’il traverse, la conscience qui ‘obstrue l’homme partout d’obstacles’ est un effet accessoire… Pour le penseur lui-même, cet effet accessoire moral reste marginal “, La vie de L’esprit, I, p. 217.

12. “Et la pensée en elle-même n’apporte pas grande chose à la société, beaucoup moins que la soif de savoir qui exploite la pensée comme instrument appliqué à d’autres fins. Elle ne crée pas de valeurs; elle ne va pas trouver, une fois pour toutes ‘ce qu’il y a de mieux à faire’; elle ne consolide pas les règles de conduite acceptées, mais les désagrège plutôt. Elle n’a aucune portée politique non plus, à moins que ne se déclare un état d’urgence. Qu’il me faille, tant que je suis en vie, savoir vivre avec moi-même est une considération qu’ignore la politique, sauf dans les ‘situations-frontières’ “, La vie de l’esprit, I, p. 217.

13. “Cependant l’état de non-pensée qui semble tellement se recommander dans les affaires politiques et morales présente aussi certains aléas. En soustrayant les gens au danger de l’examen critique, il leur enseigne à s’accrocher solidement aux règles de conduite, quelles qu’elles soient, d’une société donnée à une époque donnée. Ce à quoi ils s’habituent alors est moins le contenu des règles, dont l’examen serré les plongerait dans la perplexité, que la possession de règles dans lesquelles on peut faire entrer les cas particuliers. Qu’apparaisse un individu qui, pour une raison ou une autre, prétend abolir les anciennes ‘valeurs’, les vieilles vertus, il ne rencontrera guère de difficultés, pourvu qu’il apporte un nouveau code, et il n’aura besoin que d’une force relativement réduite et d’aucune persuasion – j’entends par là faire la preuve que les nouvelles valeurs sont supérieures aux anciennes – pour imposer ce code. Plus les hommes se cramponnent fermement à l’ancien, plus ils seront pressés de se fondre dans le nouveau, ce qui signifie dans la pratique que les plus prompts à obéir seront les piliers les plus respectés de la société, les éléments les moins enclins à penser, subversivement ou non, tandis que ceux à qui, selon toute apparence il ne fallait pas se fier sous l’ancien système seront les plus intraitables.”, La vie de l’esprit, I, p. 202.

14. “Toutes les questions métaphysiques dont la philosophie a fait ses thèmes particuliers ont pour point de départ ce que vit couramment le bon sens (ordinary common-sense experiences)”, La vie de l’esprit, I, p. 95.

15. “La meilleure, en fait la seule manière que je puisse concevoir d’empoigner la question est de se mettre en quête d’un modèle, l’exemple d’un penseur non professionnel en qui se fondent deux passions apparemment contradictoires, la pensée et l’action – j’entends non pas un homme brûlant d’appliquer ses pensées ou d’établir des formules théoriques de l’action mais, beaucoup plus probant à mes yeux, un individu également à l’aise dans les deux domaines et capable de passer de l’un à l’autre avec la plus grande aisance apparente, de la façon dont chacun de nous va et vient sans cesse des faits d’expérience quotidienne dans le monde des phénomènes au besoin d’y réfléchir.”, La vie de l’esprit, I, p.191.

16. La vie de l’esprit, I, p. 218.

http://www.hottopos.com/mirand6/la_relation_entre_agir_et_penser.htm

Hannah Arendt :Responsibility and Judgment …

A propos du film “Hannah Arendt”, de Margarete Von Trotta .

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