Bertran de Born, le seigneur troubadour , Elogio della guerra ; incontro con Dante e musica

6/10/2013 George 1 Analyzing History: Bertran de Born – Innocent …

Bertran de Born, itinéraires européens

Bertran de Born

Elogio della guerra

Molto mi piace la lieta stagione di primavera
che fa spuntar foglie e fiori,
e mi piace quando odo la festa
degli uccelli che fan risuonare
il loro canto pel bosco,
e mi piace quando vedo sui prati
tende e padiglioni rizzati,
ed ho grande allegrezza
quando per la campagna vedo a schiera
cavalieri e cavalli armati.

E mi piace quando gli scorridori
mettono in fuga le genti con ogni lor roba,
e mi piace quando vedo dietro a loro
gran numero di armati avanzar tutti insieme,
e mi compiaccio nel mio cuore
quando vedo assediar forti castelli
e i baluardi rovinati in breccia,
e vedo l’esercito sul vallo
che tutto intorno è cinto di fossati
con fitte palizzate di robuste palanche.

Ed altresì mi piace quando vedo
che il signore è il primo all’assalto
a cavallo, armato, senza tema,
che ai suoi infonde ardire
così, con gagliardo valore;
e poi ch’è ingaggiata la mischia
ciascuno deve essere pronto
volenteroso a seguirlo
chè niuno è avuto in pregio
se non ha molti colpi preso e dato.

Mazze ferrate e brandi, elmi di vario colore,
scudi forare e fracassare
vedremo al primo scontrarsi
e più vassalli insieme colpire,
onde erreranno sbandati
i cavalli dei morti e dei feriti.
E quando sarà entrato nella mischia,
ogni uomo d’alto sangue
non pensi che a mozzare teste e braccia:
meglio morto che vivo e sconfitto!

Io vi dico che non mi da tanto gusto
mangiare, bere o dormire,
come quand’odo gridare “All’assalto”
da ambo le parti e annitrire
cavalli sciolti per l’ombra
e odo gridare “Aiuta! Aiuta!”
e vedo cadere pei fossati
umili e grandi fra l’erbe,
e vedo i morti che attraverso il petto
han troncon di lancia coi pennoncelli.

Baroni date a pegno
castelli borgate e città,
piuttosto che cessare di guerreggiarvi l’un l’altro.

Papiol, volenteroso,
al signore Si-e-Nò vattene presto
e digli che troppo sta in pace.

(traduzione dalla lingua d’oc di A. Roncaglia)

Bertran de Born, le seigneur troubadour

par Alain Vaugrenard, Professeur Agrégé de l’Université
Ancien proviseur de la Cité scolaire Bertran-de-Born, Périgueux

Avant-propos

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Quand on évoque BDB, on songe aussitôt aux fameux vers de Dante Alighieri (1265-1321) (La Divine Comédie, Inferno, XXVIII, 112-142) qui évoquent son ombre terrible qui erre dans l’enfer, tenant dans une main sa tête, en guise de lanterne, afin d’expier le crime d’avoir soulevé le fils (Henri dit le Jeune Roi, car roi associé depuis 1170 et mort en 1183) contre le père ( Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre de 1154 à 1189). On en a fait aussi le chantre de l’indépendance du Midi, un condottiere besogneux et sans scrupule, un seigneur riche et charitable etc. Celui qui écrivait : « A Périgueux, près de la muraille à portée de mail d’armes je viendrai sur Bayard, et si j’y trouve un Poitevin ventru, alors on verra comment coupe mon épée, car je lui ferai sur la tête une bouillie de cervelle mêlée avec la cotte de mailles ». Il écrit aussi : « mais sans mesure, il n’y a rien ».Voilà donc un curieux parrain pour le plus ancien lycée du Périgord.

I- Vie de Bertran de Born et contexte

Sa date et son lieu de naissance sont assez imprécis. Ce, même si pour un homme de son rang on dispose de plus de documents que la moyenne (œuvre, cartulaire des abbayes de Dalon et Saint Martial de Limoges, témoignages de ses contemporains). Toutefois, une particularité de la famille vient compliquer les recherches : les hommes de la famille portent les mêmes prénoms : Bertran, Itier et Constantin. Bref, il ressort de l’analyse de ces documents, que Bertran de Born, fils d’un autre Bertran de Born et d’Ermengarde, fille de Gouffier de Lastours qui s’est couvert de gloire en Terre sainte pendant la première croisade, est né entre 1120 et 1159, probablement aux alentours de 1140, il meurt en 1215. Il a deux frères, Constantin et Itier, ce dernier moine de l’abbaye de Dalon. Pour ce qui est de son lieu de naissance, il y a, là aussi incertitude. Car on ne sait exactement depuis quand Hautefort est dans le patrimoine de la famille de Born. Ce n’est probablement qu’avec la génération de Bertran que la seigneurie passe aux Born. De ceux-ci on sait peu de choses, ils sont du pays, le château familial, détruit par Constantin, était on ne sait ou, en forêt de Born. La seigneurie vient probablement par mariage avec les seigneurs de Lastours. S’il n’est pas né a Hautefort, certains avancent qu’il pourrait avoir vu le jour à Salagnac. Le site d’Hautefort est connu depuis au moins 987, date du premier texte relatant l’existence d’une puissante forteresse, dite « inexpugnable, qui, de mémoire d’homme, aurait toujours existé ». En 987, une forteresse….remparts de bois, donjon de bois etc.…Des textes du XIII°siècle parlent de deux tours et d’une aula (maison seigneuriale,), de maisons particulières et d’une église, le tout compris dans une enceinte.

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Ce qui amène à faire un rappel de géo-socio-politique de l’époque. Bertran de Born vit dans la seconde moitié du XII°siècle et meurt au début du XIII°siècle au sein de l’Occident médiéval. C’est-à-dire dans ce que nous appelons le Moyen-âge, une période très longue, allant de la fin du V° siècle (prise de Rome par les « barbares ») au milieu ou à la fin du XV,siècle (prise de Byzance ou redécouverte des Amériques par C.Colomb). Le système social et politique est très différent du nôtre. C’est le système féodal, dans lequel priment les liens jurés entre vassal et suzerain. Encore que le lien juré se révèle à l’usage d’une utilisation assez souple. Pas de notion d’état, de nation, de démocratie, lutte des classes, anarchie et autres notions ayant cours en ces lieux ! La société est organisée en trois ordres : « oratores, bellatores, laboratores ». Ceux qui prient, ceux qui portent les armes, ceux qui travaillent de leurs mains. Mais en même temps, c’est une période de changement. Ce système de division de la société en trois ordres commence à se fissurer. Le XII° siècle occidental connaît un essor démographique qui entraîne un progrès des défrichements et un essor des villes. Avec un début d’émergence de la bourgeoisie. Dans les villes, marchands et artisans forment déjà une oligarchie assez forte pour freiner l’arbitraire du seigneur, voire racheter certaines libertés. La société est rurale avec de grandes disparités dans les conditions de vie du paysan : rustres (rusticus, l’homme des champs), vilains (l’habitant du village), manants (l’homme qui est lié au terroir qu’il exploite). Des hommes libres, demi libres et les serfs, qui sont en voie de disparition. La aussi une bourgeoisie champêtre est en voie de constitution par achats de petits fiefs. C’est aussi la période ou on va passer de l’art roman au gothique. La première grande construction étant l’abbatiale de Saint Denis édifiée sous l’autorité de Suger qui en était l’abbé et le conseiller des rois de France. Politiquement parlant, dans notre secteur de survol, il y a un roi de France, issu de la dynastie capétienne. Cette famille est encore très fragile, ses domaines propres sont petits, certains de ses vassaux ont de plus grandes possessions, et le roi régnant prend la précaution de faire couronner son fils de son vivant. Ce sera le cas des trois rois de notre période : Louis VI dit « le gros », Louis VII dit « le pieux » et Philippe dit « auguste. C’est ce dernier qui, aura suffisamment affermi la dynastie pour ne pas couronner son fils. Cette médiocrité n’est pourtant qu’un leurre. En effet, un système très complexe est en train de s’élaborer. Le monde féodal s’est lentement substitué aux désordres qui marquèrent le déclin des Carolingiens, mais en même temps, il s’est hiérarchisé et il a fixé ses propres règles. Certes la puissance publique s’est émiettée. Mais les grands féodaux, s’ils sont rois dans leurs immenses domaines, ont été contraints à leur tour de morceler leur pouvoir, de le diviser, de le subdiviser, entre leurs vassaux. Au sommet de cette pyramide, il y a le roi dont les hauts feudataires [1] se reconnaissent vassaux. Une hiérarchie avec roi, prince royal, ducs, comtes, marquis, vicomtes, barons, chevaliers, écuyers. Mais il peut arriver qu’une simple châtellenie soit plus grande qu’une baronnie. En droit, les nobles de condition si diverse sont tous dispensés de taille et ne sont pleinement propriétaires d’un fief. Ils le tiennent d’un seigneur plus élevé qui le tient d’un plus élevé, ce, jusqu ‘au roi. La force des Capétiens sera là, en particulier maniée par un Philippe-Auguste particulièrement retors. L’Espagne est en grande partie sous la domination musulmane, ce n’est que dans la partie nord qu’existent des royaumes chrétiens qui appartiennent et fonctionnent avec l’outre Pyrénées. L’Angleterre connaît une dynastie finissante, celle de la descendance de Guillaume le Conquérant… nous allons d’ailleurs avec Bertran de Born plonger dans cette succession anglaise. Il ne faut pas oublier le rôle de l’Eglise, qui a beaucoup de mal à s’affirmer, avec la volonté néanmoins de passer au-dessus des princes et qui s’efforce de se glisser dans le système féodal et qui, au siècle suivant « sautera » sur l’hérésie Cathare, qui sera un excellent moyen d’affermir son pouvoir spirituel et temporel. Il serait trop long de s’attarder sur les conditions de vie de cette époque. Ironiquement et sérieusement à la fois je vous renverrai sur les séquences médiévales du film « Les Visiteurs » qui se passe grosso modo à notre époque et tiennent la route au plan de la reconstitution. Tout commence avec Guillaume X duc d’Aquitaine et par ailleurs fils de Guillaume IX, plus ancien troubadour notoire connu, qui marie sa fille Aliénor (1122 env.-1204) avec le fils du roi de France Louis VI en 1137.

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Comme c’est à cette date que les deux beaux –pères décèdent, Aliénor et son époux Louis VII accèdent au trône de France. Le mariage n’est pas heureux et Louis VII fait annuler le mariage en 1152. Mais, stupéfaction, Aliénor épouse, 8 semaines, après Henri Plantagenêt, comte d’Anjou, du Maine et duc de Normandie (1133-1189). Ce qui leur fait un immense domaine et une magistrale gaffe politique de Louis VII. D’autant qu’en 1153, Henri devient roi d’Angleterre ! C’est ainsi qu’à partir du 19 décembre 1153(couronnement d’Henri II), l’Aquitaine devient anglaise. Il n’est pas inutile d’avoir une idée sur la progéniture d’Aliénor et d’Henri II. Aliénor donne cinq garçons et une fille à son époux. Et ce, entre 1153 et 1167. Henri le Jeune dit encore Court Mantel [2], premier héritier, Richard, futur cœur de lion qui sera duc d’Aquitaine, Jean surnommé « sans terre », parce que ses parents ont disposé de leurs domaines en faveur de ses aînés. Les deux souverains ont un « fort tempérament ». La brouille va s’installer entre eux. Aliénor régnant en Aquitaine depuis sa cour de Poitiers et Henri II la trompant ailleurs. Aliénor très revendicative, rassemble ses poussins et, avec eux, tourne bec et griffes vers son mari. Cela va durer six ans.

Bertran homme de cour.
En effet, Aliénor remarque Bertran de Born, bon musicien, poète merveilleux et guerrier hors ligne. Celui-ci sera au cœur de la querelle, tour à tour, compagnon d’armes d’Henri le Jeune, de Richard (qu’il surnomme « seigneur Oc et No » !), et de Jean. A-t-il aidé Aliénor en divisant la famille royale et essayé de conforter ses positions ? En fait, on s’aperçoit que bien qu’étant un seigneur de condition moyenne, Bertran connaît très bien la famille royale dont il est un des familiers. Ce qui est aussi probable c’est qu’à l’instar des autres turbulents seigneurs aquitains, il suivit un temps, le parti des enfants d’Henri II. Une division qui va très loin. Par exemple, Richard part en guerre pour récupérer les villes offertes par son père à Jean. Richard est écrasé par son père à Verneuil. Henri II souhaite une réconciliation, Aliénor refuse. Celle ci capturée en 1173, sera emprisonnée en Angleterre de 1173 à 1185. Les barons aquitains entrent en révolte contre Richard, avec l’aide de Bertran celui-ci les réduits sans pitié. Richard devient roi à la mort de son père le 11 juin 1189. Henri II décède en effet, accablé et usé par l’attitude et les trahisons de sa famille. Dans l’intervalle, sont morts Geoffroy duc de Bretagne et Henri le Jeune, en 1183. Il reste donc, Richard qui monte sur le trône et Jean comme héritier probable si Richard disparaît prématurément ou sans descendance. Ce qui se passera avec la mort de Richard en 1199 devant Châlus. Aliénor décède le 31 mars 1204, elle a plus de 80 ans.

C’est donc dans ce contexte que vit, et ce parfois dans les premiers rôles, Bertran de Born. C’est aussi dans ce contexte que se place sa querelle avec son frère Constantin. Peu après la mort de Bertran de Born père, en 1178, Bertran prend en main les affaires de la famille. Son épouse, Raimonda lui a donné deux fils, Bertran et Itier .Vers 1180, Constantin épouse Agnès de Lastours, la fille d’Olivier, et devient de fait, co-seigneur d’Hautefort, alors que Bertran a épousé Raimonda cousine éloignée. Bref, le château devait être en indivision confuse propre aux seigneuries du midi de la France. Par son mariage, Constantin prenait le pas. Ce que Bertran ne supporte pas. Bertran chasse son frère par traîtrise, en 1182, estimant qu’on tente de le dépouiller et qu’il a épuisé toutes les tentatives de conciliation. Constantin réagit en faisant appel à la justice de leurs suzerains communs : le vicomte de Limoges, Richard, comte de Poitiers et duc d’Aquitaine, Henri II roi d’Angleterre et père du duc d’Aquitaine. Ces derniers ne purent rétablir immédiatement Constantin dans ces droits, du fait des querelles qui les divisaient.

Là, on retrouve le contexte que je viens d’évoquer. Bertran connaît bien cette société et même est, semble t’il, parfois au cœur des querelles royales, car il en connaît bien les membres… agit’il par intérêt ? Ce qui est sûr c’est que sur cette querelle il joue mal. En effet, c’est la période ou il soutient Henri le Jeune en lutte contre son père Henri II. Constantin est pour Richard…Ce qui fait que, quand Henri le Jeune meurt en 1183 à Martel, Henri II qui tient Bertran pour responsable de la rébellion de son fils se retourne contre lui. Bertran se retrouve assiégé, à Hautefort, par Henri II, Richard et Alfonse d’Aragon…ce qui fait beaucoup. Il se rend le 6 juillet 1183. Il est confronté au roi et à Richard et sommé de s’expliquer sur ses actes passés. Il déclame un sirventès [3] plaintif à la mémoire de son ami Henri le Jeune et demande grâce à Richard. Miracle, il semble que celui-ci pardonne et Henri II, bon prince, rend Hautefort à Bertran avec une somme d’argent pour le dédommager des dégâts occasionnés pendant le siège…D’après les historiens, ce scénario relève de la légende dorée. Notre héros passe un mauvais quart d’heure : chassé du château récupéré par Constantin, terres dévastées. Toutefois, en 1184, Bertran apparaît comme rétabli dans ses biens. Henri II a réhabilité Bertran mais nous ne connaissons pas les mobiles de la clémence royale : désir d’affirmer son autorité sur son fils Richard ? Y a-t-il eu un marché conclu entre Bertran et Richard : service et fidélité contre garde d’Hautefort ? Bertran jouant de l’animosité entre le vicomte de Limoges et Richard ? Ce qui est certain c’est que Bertran sera désormais toujours fidèle à son duc. Constantin disparaît, devient routier, voire brigand de grand chemin.

Bertran seigneur d’Hautefort.
Semble-t-il échaudé par ses aventures, dont la leçon de 1183, Bertran se tient désormais à l’écart de tous les troubles après avoir toutefois réglé ses comptes avec ses anciens alliés, dont une attaque en règle d’Excideuil. Il s’intéresse à ses devoirs de seigneur local. Il renforce les liens avec l’abbaye de Dalon à laquelle il accorde de nombreux dons. Il compose beaucoup de poésies notamment celles dans lesquelles il se scandalise contre les souverains qui ne participent pas aux croisades… mais ne suivra pas Richard à la Croisade…Il est vrai qu’il se sent encore en position de faiblesse, entouré d’ennemis, ses fils encore jeunes (ils ne seront faite chevaliers qu’en 1192). Il continue dans ses sirventes à donner son avis sur la politique locale mais n’intervient plus directement. Il a même son jongleur attitré:Papiol, à partir de 1181. Celui-ci lui servira de jongleur mais aussi de messager pour porter ses sirventes à ses puissants amis. Papiol est nommé à la fin des ces sirventès comme messager de son maître. Il se consacre à ses terres et à sa vie familiale. D’autant qu’il, s’est remarié et aura un troisième fils. Il semble que la position de sa lignée soit renforcée quand Bertran, ses fils se rendent auprès de Philippe Auguste en 1212, celui-ci leur promet de ne leur faire jamais abandonner la mouvance d’Hautefort [4]. Il sont faits vicomtes et seront au côté du Roi de France à Bouvines en 1214, triomphe de Philippe-Auguste.

Moine de l’abbaye de Dalon.

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Arrive maintenant le dernier épisode de cette vie extraordinaire. Il entre au monastère de Dalon probablement en 1195 et ce, comme moine. Pourquoi cette retraite ? Son jeune frère Itier y a passé toute sa vie, un de ses fils, Constantin en fera autant. Toute sa vie, il a fait de nombreuses donations à l’Abbaye. Enfin, l’assassinat de son grand ami Guilhem l’a convaincu qu’il était temps de passer la main. . Il n’a rien laissé sur ses raisons.

Une remarque, il est certes celui qui exalte les joyeuses « étripailles » et combats divers, un exemplaire « pousse au crime » mais aussi celui qui a écrit ceci : «  Qu’est l’homme quand j’y songe ? Et que vaut-il ? Je le tiens pour rien, et le puissant pourquoi dissimule-t-il ses sentiments ? Est-il puissant ? Au contraire, il y en a trop à dire, ainsi le pouvoir est faible le jour où l’on passe la porte où l’on va tous sans contester, on a beau se réjouir ou s’admirer, à tous est- commune la mort  »… Certains signalent sa participation à quelques rixes : Treignac, Ayen, Badefols, Excideuil en 1202. La fin de l’histoire nous est sobrement contée par Bernard Itier qui note en 1215 : « octava candela in sepulcro ponitur pro Bertrando de Born » extrait de la Chronique de Saint Martial de Limoges. Il faut sans doute comprendre que Bertran avait disposé par testament qu’aux sept cierges qui brûlaient en permanence devant le tombeau de Saint Martial, il faudrait ajouter un huitième à partir de sa mort. Ainsi disparaît aussi mystérieusement qu’il était né, Bertran de Born, seigneur, moine et troubadour d’Aquitaine.

II.- Au travers de cette vie on peut se poser de nombreuses questions et, notamment celles de la position sociale de Bertran de Born, de sa culture et de son œuvre.

Position sociale.
Les possessions de la famille s’étendent sur une superficie qui mesure quelque 70 Kms/45. Ce qui est une aire comparable aux vicomtes de Ventadour et autres grands seigneurs. Il est baron donc supérieur à un châtelain, un vavasseur [5] ou un chevalier. Il tient Hautefort du roi d’Angleterre, son fils, du roi de France. Dans le schéma de la structure politique de la France angevine il y a le roi, les grands seigneurs ses vassaux et les petits seigneurs, Bertran de Born, trouve sa place parmi les grands seigneurs, bien que moins grand que d’autres. C’est ainsi qu’en 1173, Henri II réunit une cour fastueuse à Limoges, pour présider à la signature d’un traité de paix entre le comte de Toulouse et le Roi d’Aragon, Bertran y assiste. Il compose quelques chansons et se lia d’amitié avec Henri le jeune dit Court-Mantel, fils aîné du Roi d’Angleterre. En 1183, Henri II, réunit tous ses vassaux à Caen, dans une cour fastueuse, pour une réconciliation générale. Bertran y assiste, fait la connaissance d’un troubadour catalan, Guilhem de Bergueda dont il deviendra très ami. Par contre, ce qui est curieux c’est qu’il ne donne jamais dans ses poésies l’image de sa condition sociale véritable. Si l’on s’en tient à ses écrits, il vit dans un état proche de la pauvreté. Pauvreté du petit seigneur et haut mérite. Cette situation est le cas de nombre de ses contemporains. S’il frôle la catastrophe en 1183, d’autres y laisseront leur château détruit par Richard. Lui n’aura connu, qu’une très dure année à cette occasion. Certains pour expliquer cette contradiction font appel à l’intervention de mécanismes idéologiques. L’idéologie qu’il développe ne correspond pas à sa condition sociale mais à celle d’un groupe émergent de « jovenz », jeunes gens, bacheliers, écuyers et chevaliers sans fiefs, dépendant de la faveur du maître. La poésie de Bertran et d’autres peut se lire comme une forme de récupération des idées d’un nouveau groupe social. C’est en même temps, une opposition littéraire à la conception bourgeoise de la richesse à un moment où elle s’affirme triomphalement dans le cadre du développement urbain. Ce groupe de « jovenz » est prestigieux quoi d’étonnant que Bertran, qu’il est difficile de ranger parmi les petits seigneurs, ait voulu se réclamer de ce groupe prestigieux et profiter de sa vocation poétique pour tenter de s’en faire le porte-parole ?

Sa culture.
D’après les spécialistes, rien ne permet d’affirmer qu’il ait possédé une connaissance de la langue ou de la littérature latine supérieure à celle que pouvaient en avoir les gens de son état. Par contre, il apparaît comme un homme à qui les questions religieuses étaient beaucoup plus familières qu’on ne l’attendrait d’un seigneur de sa sorte. A-t-il connu une véritable conversion ? Faute de sources il n’y a pas de réponse. Dans un autre domaine, il apparaît certain qu’il a eu des échanges avec des trouvères : Conon de Béthune, par exemple. Selon certains il aurait été étroitement lié aux écrivains champenois (en 1190, il est de passage à Troyes et y célèbre Phlippe-Auguste comme un descendant de Charlemagne). Beaucoup de romans ont marqué de leur influence son œuvre. Il fait de nombreuses allusions à la légende arthurienne, à la Chanson de Roland. Ce qui fait que l’on peut se demander s’il n’est pas l’homme d’un temps passé. D’autant que l’image de la guerre qu’il donne est celle d’un théâtre d’exploits personnels et non la mêlée anonyme, il rejette l’idée de siège ou la machine prend une grande place tout en les décrivant. Par contre il ne dit pas un mot contre les arbalétriers, dont l’arme a été condamnée par l’Eglise à son apparition. En fait, s’il est nourri de chansons de geste et qu’il attache une importance fondamentale à la prouesse personnelle, il a une conscience assez claire des nouvelles nécessités de la guerre et accorde un rôle important à la possession de la terre. Or ceci est la caractéristique d’un groupe aristocratique en plein déclin alors que se développe la fortune immobilière des marchands et des paysans enrichis qu’il attaque rudement dans son œuvre.

L’œuvre littéraire.
Sans entrer dans le détail de ce grand mouvement littéraire que fut celui des troubadours, il, convient, pour situer Bertran de Born, de donner quelques grands axes. C’est vers le milieu du XII° siècle, que se manifesta en Périgord une nouvelle expression de l’art lyrique à travers le chant des troubadours. Cette région comme d’ailleurs tout le sud de la France, a joué sans conteste un rôle éminent dans ce mouvement littéraire nouveau dont la langue d’Oc fut le vecteur déterminant. Cette nouvelle compétence poétique qui émergeait donna lieu à de nouvelles pratiques sociales et culturelles. Les troubadours ont cultivé un nouveau rapport de l’homme au monde et découvert une nouvelle expérience poétique essentielle de l’être : l’amour est le moteur fondamental de l’existence. Il y a des trobadors, des joglars et des chantadors. Ceux qui trouvent les notes et les musiques, ceux qui jonglent avec les chansons, ceux qui chantent. En d’autres termes, les compositeurs, les improvisateurs, les interprètes. Les troubadours composent des vers et des chansons, des mots d’amour, des sirventes, des chants du désaccord, des danses, des pastourelles, des poèmes énigmatiques, des enseignements. Le Périgord sera terre de troubadours. Il y aura Giraud de Borneihl, dit le Maître des troubadours, 1162/1199, d’Excideuil, de basse condition, qui lui, semble avoir été le premier à n’avoir vécu que de sa poésie. Arnaud Daniel, 1180/1195, de Ribérac, gentilhomme et troubadour. Arnault de Mareuil, 1195, clerc d’origine pauvre, qui adressa un salut d’amour à la comtesse de Burlats. Si le fils de Bertran a lui-même composé, il existe un autre Born compositeur, Jordan, dont on ne connaît rien. Détail marquant le rôle du Périgord dans ce mouvement, l’Abbaye de Dalon, sera la dernière demeure de Bertran certes, mais aussi de Bernat de Ventadorn,, Peyre de Brussignac, Bertran le fils et probablement Arnaut Daniel, Giraud de Bornelh, n’étant pas revenu de la troisième croisade. Cette abbaye, fondée en 1114 est en quelque sorte, le tombeau des troubadours . Enfin, dans le cadre plus large de l’Occitanie, il y aura des femmes : la comtesse de Die, Marie de Ventadour, Claire d’Anduze… et tant d’autres, car le mouvement est large et nous sortons de mon propos… Bertran de Born est parmi les plus connus. Il va laisser 48 pièces dont 4 chansons, le reste est constitué par des sirventes. Celui-ci est un genre satirique, contre la décadence des mœurs, des personnes, des actes politiques. Du point de vue de l’expression,il semble que le sirventès se présente sous l’aspect d’une poésie au service d’une chanson. C’est dans ce genre qu’il est considéré comme un spécialiste. C’est son mode d’expression naturel. Ses sirventès permettent de suivre le cours de sa vie : concernant le statut d’Hautefort, chansons politiques pour galvaniser la rébellion contre Henri II et Richard en sachant qu’il joue le tout pour le tout dans cette affaire, sirventès amers au sujet d’Henri Court-Mantel quand celui-ci hésite à se battre contre son père et son frère. Mais il composera un planh , considéré comme un de ses chefs d’œuvre, à la mémoire d’Henri le Jeune. D’autre part, il semble que l’éloge d’un personnage ne serve le plus souvent qu’à le poser en exemple pour mieux en critiquer un autre. Ce qui fait qu’il est difficile de savoir ce que Bertran vise. Il donne une leçon et il blâme. Il blâme Alphonse d’Aragon, Richard, Philippe Auguste. S’agit-il pour autant des prises de position politiques ? Il fait de la propagande pour se amis Henri le Jeune et Geoffroy de Bretagne qu’il surnomme « rassa » (le roux) dans ses sirventès. Certes si l’on considère qu’il souhaite d’incessants conflits entre les souverains, afin de se faire valoir et de garder une certaine autonomie, il n’est pas le seul et il prend un certain recul, voire il a une certaine morale. Il considère que deux systèmes coexistent : l’un gouverne la vie, l’action, et l’autre la pensée religieuse. Son œuvre permet aussi de constater qu’il a un regard sur la société. Soldats certes, mais aussi la vie des petites gens : soins des animaux, travail des champs, artisans, gens d’Eglise qu’il ne cite que pour l’esprit pacifique propre à leur état. Il nous fait découvrir ainsi, un Périgord et un Limousin agrestes, superficiellement agités par les jeux guerriers et féodaux. Il n’accorde aucun intérêt à l’aspect extérieur de l’homme. Par contre les vêtements ont leur importance mais ce, en tant que marqueurs sociaux, allant jusqu’à considérer qu’il faut s’endetter pour faire preuve de générosité. Par contre, le poète s’attarde longuement sur la description physique de la dame. Il présente le corps triomphant de la dame dans sa splendeur : teint d’aubépine et de rose, belles toilettes, etc. Ceci étant, il n’est pas tenu pour un grand troubadour amoureux, mais il aborde fréquemment le sujet. Il célèbre les charmes de la brillante et jeune châtelaine, Maheut de Montignac, fille du vicomte de Turenne et épouse du seigneur de Montignac. C’est un choix avisé car Maheut est belle fille du comte de Périgord. Or, le fait d’avoir été choisi par une riche châtelaine comme troubadour lui donne le droit d’être admis en public ou en privé auprès de la dame et donc de sa parentèle. Par contre, on peut parler de coup de foudre quand il nous décrit sa présentation à Mathilde de Saxe. Il connaîtra les affres de l’amour. Il chantera sa dame, acceptera d’être traité avec désinvolture. En fait, il ne produit pas de conception originale de l’amour courtois. Et puis, il ne faut pas se faire d’illusions. Bertran est comme ses pairs. Son amour pour ses égales du Limousin n’était sans doute pas de la même nature que celui qu’il déclarait à la dame. On peut se poser la question de la sincérité de ses amours : réellement ressentis ou jeu de société ? On ne saurait trop souligner que les poésies de Bertran de Born étaient d’abord des chansons : leur mélodie jouait donc un rôle primordial. Hélas, seule la pièce “Rassa, tant creis” est accompagnée d’indications musicales. Les spécialistes ont pu reconstituer au total seulement cinq mélodies, dont il est possible d’écouter des reconstitutions.

Postérité.
La saga de Bertran ne s’arrête en effet pas là ! Il y a, en effet un autre Bertran et un autre de Born, tous deux, troubadours. Il y a d’abord, Bertran, le fils de Bertran et de Raymonda sa première épouse. (av1172-1214). Fait chevalier avec son frère Itier en 1192, au Puy en Velay. C’est lui qui, semble-t-il, transigea avec son oncle Constantin au sujet d’Hautefort. Il rend hommage de ce château à Philippe Auguste en 1212et trouva la mort à Bouvines, en 1214, laissant trois fils. Il ne reste de lui qu’un sirventès, composé en 1205 et 2 ou 3 pièces dans le même style que celles de son père. Enfin, encore un de Born avec Jordan dont on ne connaît rien si ce n’est qu’on lui attribue une pièce poétique et qu’on ne sait même pas s’il faisait partie de la famille. Enfin quelques mots sur la descendance de Bertran. Ils prennent ensuite le titre de vicomte de Limoges, qui échut aux Faye, puis aux Gontaud. Ces derniers fondent la Maison d’Hautefort au début du XV° siècle, dont Jacques François de Hautefort qui donna au château sa physionomie actuelle et fit bâtir l’hospice. Après la révolution, la propriété passe aux de Damas, par mariage de la dernière des Hautefort. Ces derniers le vendent en 1890 à un banquier qui le lègue à l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse. Celle-ci le vend au baron Henri de Bastard en 1929…On connaît la suite…

Au total, on voit donc que BdB est en même temps, homme de poésie et homme de guerre, soudard et amoureux courtois, capable d’exhorter au pillage comme à entrer dans les ordres, quémandeur impudent et seigneur orgueilleux et ce, comme nombre de ses contemporains. La grande affaire de sa vie aura été le château d’Hautefort, il s’en rendit seigneur et maître incontesté et le légua à sa lignée qu’il fit sortir de l’obscurité des petits seigneurs. De plus, il a bénéficié d’un mécanisme de transformation d’un seigneur de moyenne importance en héros de roman. Reste bien évidemment l’œuvre littéraire, remarquable en tant que telle et exceptionnelle pour un homme de sa condition. Alors, pourrait-on dire, pourquoi tant de haine de la part de Dante ? Il y a une hypothèse, Dante comme Henri II d’Angleterre étaient Gibelins ( partisans de l’Empereur contre les Guelfes, partisans du Pape et de l’indépendance italienne), les ennemis du roi devenaient ses ennemis…Le voilà donc, autre avatar, porte-étendard du plus ancien lycée périgourdin. Ceci depuis 1973. Après avoir travaillé sur cette évocation de sa vie, je trouve que, avec les nuances d’usage, nous aurions plus tomber plus mal. Certes, ce ne fut point un saint laïque, mais on nous a épargné un « illustre ministre », plus ou moins connu. Le lycée en compte parmi ses anciens élèves. Par contre, nous voilà avec un parrain haut en couleurs et nuances et qui mérite le détour comme le château de ses descendants d’ailleurs !

SOURCES

L’amour et la guerre – L’œuvre de BERTRAN DE BORN édition critique, traduction et notes par Gérard GOUIRAN Marseille 1895 thèse

Aliénor d’Aquitaine- Régine PERNOUD , Albin MICHEL, 1979

Les Rois qui ont fait la France, les Capétiens, tome 1, Philippe Auguste, Georges Bordenove-Editions Pygmalion, Paris 1983

Terre des troubadours_XII°-XIII° siècles Gérard ZUCHETTO Les éditions de Paris

[1feudataire=possesseur d’un fief

[2car il lui arrivait de porter un court manteau

[3comme on le verra dans quelques instants il s’agit d’une des formes d’expression de la poésie des troubadours, ordinairement satire, et quelque fois, consacrée à l’amour et à la louange

[4ensemble des biens, terres ou droits qui dépendaient d’une seigneurie

[5vavasseur : vassal d’un vassal

http://etablissementbertrandeborn.net/spip.php?article8

Io vidi certo, e ancor par ch’io ‘l veggia,
un busto sanza capo andar sì come
andavan li altri de la trista greggia;

e ‘l capo tronco tenea per le chiome,
pesol con mano a guisa di lanterna:
e quel mirava noi e dicea: «Oh me!».

Di sé facea a sé stesso lucerna,
ed eran due in uno e uno in due;
com’ esser può, quei sa che sì governa.

Quando diritto al piè del ponte fue,
levò ‘l braccio alto con tutta la testa
per appressarne le parole sue,

che fuoro: «Or vedi la pena molesta,
tu che, spirando, vai veggendo i morti:
vedi s’alcuna è grande come questa.

E perché tu di me novella porti,
sappi ch’i’ son Bertram dal Bornio, quelli
che diedi al re giovane i ma’ conforti.

Io feci il padre e ‘l figlio in sé ribelli;
Achitofèl non fé più d’Absalone
e di Davìd coi malvagi punzelli.

Perch’ io parti’ così giunte persone,
partito porto il mio cerebro, lasso!,
dal suo principio ch’è in questo troncone.

Così s’osserva in me lo contrapasso».

canto XXVIII inferno


trobar, Trobairitz e muse

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