Néhémy Pierre-Dahomey – Rapatriés : premier roman

“Rapatriés” : premier roman enthousiasmant de l’écrivain haïtien Néhémy Pierre-Dahomey

Par Laurence Houot

Une belle surprise de cette rentrée d’hiver, le premier roman d’un jeune auteur haïtien, Néhémy Pierre-Dahomey. “Rapatriés” (Seuil) raconte l’histoire de Belliqueuse Louissaint, la bien nommée, et de sa famille. Une destinée aussi accidentée et tragique que la terre haïtienne, habitée par une puissance poétique envoûtante. Un premier roman très prometteur.

L’histoire :Automne 1987, Belliqueuse Louissaint, une jeune Haïtienne aventureuse, embarque pour une traversée clandestine vers les Etats-Unis. Elle a emmené avec elle son deuxième enfant, un garçon prénommé Nathan, âgé de presque deux ans. Trois jours plus tard, la tempête met à mal le navire. Belliqueuse Louissaint épuisée et paralysée par une douleur dans le dos “lance son enfant dans la marée”. Retour à Haïti. Belliqueuse reçoit pour avoir “donné leur enfant à la mer” une “raclée biblique, houleuse” de la part de son homme Néné, “connu pour trois choses : l’alcool, les femmes et son talent de menuisier-ébéniste”.La famille prend un nouveau départ dans un quartier appelé “Rapatriés”, un no man’s Land découpé en lopins de terre distribués à tous les rescapés du “naufrage”. Néné, Belliqueuse et leurs enfants s’installent dans “cette bourgade asymétrique d’une soixantaine de toits lâchés de tous côtés”. Quelques temps plus tard, Belliqueuse, déjà mère de Fedner et de Marline, donne naissance à des jumelles : Bélial et Luciole.La vie dans le quartier n’est pas facile. Belliqueuse décide de faire adopter ses deux plus jeunes filles. Bélial part pour la France, adoptée par une humanitaire célibataire. Sa sœur Luciole s’envole avec des Canadiens. On ne la reverra plus, tandis que Bélial reviendra quelques années plus tard à Haïti pour retrouver sa mère… Entre temps, la terre d’Haïti aura tremblé, et Belliqueuse se sera perdue en elle-même…

Une écriture métaphorique et rythmée

“Rapatriés” est un roman qui explore une terre, des exils intérieurs et extérieurs, et dessine en miroir le destin d’une femme et celui d’une terre si souvent frappée par de funestes catastrophes. Belliqueuse Louissaint, magnifique personnage féminin, y fait figure d’allégorie. Véritable “phénomène”, elle y incarne la radicalité et les paradoxes de cette terre d’Haïti : l’énergie, la puissance, la lumière d’un côté, la violence, la folie, et la mort de l’autre.

L’écriture de Néhémy Pierre-Dahomey, rythmée, métaphorique, happe le lecteur dès les premières lignes, et ne le lâche plus. Le jeune romancier haïtien peint son île, ses habitants, leurs transports, leurs désespoirs, leurs empêchements, leurs tragédies avec une vitalité qui laisse le lecteur essoufflé, pantelant, mais ravi.

Néhémy Pierre-Dahomey est né en 1986 à Port-au-Prince et vit depuis quelques années à Paris où il a étudié la philosophie. C’est dans un café du quartier de Belleville à Paris que Christian Tortel l’a rencontré pour parler de ce premier roman très prometteur.

“Rapatriés”, Néhémy Pierre-Dahomey (Seuil – 191 pages – 16 euros)

Extrait :

Belli marchait, vaillante et décidée, sur ce sentier aussi simple qu’un calvaire. Le soir arrivait. Il portait avec lui une lune bien ronde et un air en mouvement qui jetait des bourrasques sur les quartiers amoncelés. On distinguait la route étroite en terre battue traversant comme une lame deux rangées de toits délabrés, des tôles rouillées, du bois pourri, des clous béants et, de temps en temps, comme seule en générait la vie périurbaine sous les tropiques, une mare boueuse concoctant de nouvelles sortes de bactéries. On distinguait également, à plus petite échelle, la serviette dans les bras de Belli, la taie d’oreiller sur son épaule et le passé dans ses yeux. La serviette hébergeait sa dernière enfant, tandis que la suivait, hésitant, un jeune homme pâle et chétif, appelez cela un freluquet à peine pubère, triste et boutonneux, son fils aîné. Elle avait la sensation d’être spectatrice de sa propre errance, comme si chaque particule d’elle-même avait déjà vécu cette route, condamnée à la vivre toujours. Sans le secours de sa crampe dorsale, déflagration impitoyable qui frappait dans les moments cruciaux, Belli aurait pu croire cette errance irréelle.”

“Rapatriés”, Néhémy Pierre-Dahomey (Seuil)

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