l’Europe va verser 200 millions d’euros à la Libye par pcfob – Médiapart

l’Europe va verser 200 millions d’euros à la Libye

Publié le 03/02/2017 à 17:31 par pcfob

Des migrants, dont l’embarcation a fait naufrage, attendent sur une plage libyenne, après avoir été arrêtés par la police à Tripoli, le 4 janvier 2017. © Reuters

Crise des réfugiés: l’Europe va verser 200 millions d’euros à la Libye

2 février 2017 Par Carine Fouteau dans Médiapart

Les dirigeants européens se retrouvent ce vendredi à Malte pour convaincre la Libye de freiner les traversées de migrants en Méditerranée. Ils devraient proposer d’équiper et former ses gardes-côtes. Le projet d’ouvrir des camps en Afrique refait surface

En réaction au décret anti-réfugiés et anti-musulmans de Donald Trump, la Commission européenne a poussé des hauts cris le 31 janvier en affirmant que « dans l’Union européenne, nous ne discriminons pas sur la base de la nationalité, de la race ou de la religion ». Mais cela ne l’empêche pas de finaliser, dans le même temps, une offre à la Libye dont le but est d’empêcher les migrants d’atteindre les côtes européennes et d’y demander l’asile.

Dotée de 200 millions d’euros, en plus des millions déjà versés, cette proposition, qui devrait être examinée par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne (UE) réunis lors d’un sommet à Malte le 3 février, s’adresse à un pays totalement instable politiquement, non signataire de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951 et ne disposant ni de loi ni de procédure d’asile.

« Il est temps de fermer la route de l’immigration irrégulière entre la Libye et l’Italie, comme nous l’avons fait avec la Turquie », a déclaré le 2 février le président Donald Tusk après une entrevue avec le premier ministre libyen Fayez al-Sarraj. Ce dernier, dont l’autorité est contestée dans son pays, a d’ores et déjà affirmé que la somme allouée par l’UE était « très »– sous-entendu trop – « modeste ».

Selon le plan prévu par la Commission, les fonds devraient servir à poursuivre la formation déjà engagée des gardes-côtes libyens, à leur fournir des moyens de surveillance supplémentaires et à financer les retours volontaires de migrants dans leur pays d’origine. L’objectif affiché par les autorités européennes est de « renforcer la lutte contre le trafic d’êtres humains en Méditerranée » et de « sauver des vies » en évitant des naufrages. Passé sous silence, le résultat est pourtant potentiellement dramatique pour les migrants : empêchés d’accéder au continent européen, ils seraient abandonnés à leur sort dans un pays considéré comme « non sûr » par l’UE. Lors d’une réunion préparatoire des ministres de l’intérieur le 26 janvier à La Valette, un projet récurrent – et particulièrement controversé – a de nouveau été mis sur la table : l’installation de camps dans le nord de l’Afrique où serait examinées les demandes d’asile des personnes interceptées en Méditerranée.

Alors que le nombre d’arrivées via la mer Égée (entre la Turquie et la Grèce) est passé de plusieurs dizaines de milliers par mois à l’automne 2015 à quelques centaines à partir du printemps 2016, les passages par la route dite « centrale » de la Méditerranée se sont toujours maintenus à un niveau élevé depuis une décennie. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 180 000 personnes, principalement en provenance de la Libye, ont ainsi débarqué en Italie en 2016. En 2017, 2 788 sont déjà parvenues en Europe par ce chemin. Depuis janvier 2016, au moins 4 806 ont perdu la vie. Selon Bruxelles, 400 000 ont été secourues dans des opérations de sauvetage en 2015 et 2016.

En matière de formation des gardes-côtes libyens, la Commission propose notamment un versement « immédiat » d’un million d’euros au « programme Seahorse » de surveillance maritime en Méditerranée (qui associe l’Espagne, l’Italie, la France, Malte, le Portugal, Chypre, la Grèce, la Libye, l’Algérie, la Tunisie et l’Égypte), ainsi qu’une subvention de 2,2 millions d’euros dans le cadre d’un accord avec l’Italie. Elle s’engage à fournir davantage d’équipements de patrouille maritime et à assurer leur maintenance. Elle affirme vouloir aider les autorités libyennes à créer un centre de coordination de sauvetage maritime et promet d’améliorer les échanges d’informations entre la Libye, les États membres et l’ensemble des instances concernées : Eunavfor Med Sophia, l’opération militaire navale européenne luttant contre le trafic de migrants en Méditerranée centrale ; l’Agence européenne de garde-frontières et garde-côtes, ex-Frontex ; Europol et Interpol, les offices de la police criminelle à l’échelle européenne et internationale, et les services d’Eurosur, le système de surveillance de l’UE contre l’immigration irrégulière.

L’enjeu pour l’UE est de pousser les gardes-côtes libyens à stopper les embarcations de migrants avant qu’elles ne sortent des eaux territoriales libyennes. Lorsqu’elles entrent dans les eaux internationales, les personnes peuvent, et même doivent, être secourues en cas de péril, mais elles ne peuvent plus être renvoyées d’où elles viennent si elles encourent un danger, au nom du principe de non-refoulement inscrit dans le droit européen et le droit international. Si elles sont détournées avant d’avoir franchi la limite, leur retour forcé est en revanche autorisé.

Ce n’est un secret pour personne, y compris à Bruxelles, les conditions de vie des migrants en Libye sont déplorables. A fortiori dans les lieux de détention. Les innombrables témoignages recueillis depuis de nombreuses années par les ONG vont tous dans le même sens : les ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne sont victimes d’un racisme généralisé ; ils sont maltraités par leurs logeurs ; exploités par leurs employeurs ; aucun droit ne leur est reconnu. Une toute récente note envoyée au ministre allemand des affaires étrangères par son ambassadeur au Niger affirme que leur situation « est pire que dans des camps de concentration ». Dévoilé par Die Welt le 29 janvier 2017, ce document (voir la recension en anglais duGuardian) fait état d’actes de torture, de viols et d’exécutions sommaires. Dans un centre de rétention en particulier, des migrants seraient régulièrement tués pour faire de la place aux nouveaux arrivants. Human Rights Watch (HRW) rappelle que ces abus, dénoncés de longue date, sont parfois le fait des gardes-côtes libyens eux-mêmes.

Pour se donner bonne conscience, la Commission promet d’essayer d’« améliorer » ces conditions de vie et de détention en « renforçant » la coopération avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et en proposant des « alternatives » économiques aux « communautés locales » tirant profit de l’« hébergement » des migrants. Elle souhaite aussi donner davantage de moyens à l’OIM pour que cette organisation internationale organise le plus possible de retours volontaires vers les pays d’origine.

« L’idée est de les envoyer dans un lieu sûr, sans les amener en Europe »Bruxelles évoque la piste de centres d’examen des demandes d’asile dans les pays du nord de l’Afrique sous la responsabilité du HCR et de l’OIM, afin que les réfugiés soient identifiés sur place en vue de leur éventuelle réinstallation dans un pays de l’UE. Lors de la réunion des ministres de l’intérieur, il y a une semaine, ce projet a été précisé : les migrants récupérés dans les eaux internationales pourraient eux-mêmes y être envoyés.« L’idée est de les envoyer dans un lieu sûr, sans les amener en Europe », a cyniquement déclaré Thomas de Maizière, le ministre de l’intérieur allemand, à son arrivée à La Valette. « Il faut sauver les gens emmenés par les passeurs, les placer en lieu sûr. Et ensuite, à partir de ce lieu sûr hors d’Europe, on ne fera entrer en Europe que ceux qui ont besoin de protection », a-t-il poursuivi. Un tel dispositif, qui a les faveurs de certains États membres, est unanimement dénoncé par les ONG puisqu’il signifierait, de la part des pays de l’UE, un reniement de leurs obligations internationales et des droits fondamentaux (lire l’article à ce sujet d’Isabelle Saint-Saëns, membre du Gisti, celui de Sara Prestianni, de Migreurop, et le rapport de l’association italienne ARCI).Malte, qui assure la présidence tournante de l’UE, est allée plus loin en proposant, sur le modèle de l’accord UE-Turquie signé en mars 2016, que les demandeurs d’asile arrivés en Europe puissent être renvoyés en Afrique. L’Autriche, quant à elle, promeut le système australien de sous-traitance de l’asile à des pays tiers.

« Renvoyer des réfugiés d’où ils viennent est non seulement indécent, mais illégal, et trahit les valeurs sur lesquelles l’UE et ses États membres se sont construits », insiste HRW. « Par cet accord, l’Union européenne organise le refoulement vers leurs persécuteurs de personnes déjà éprouvées lors de leur premier passage en Libye. Les États membres bafouent ici l’essentielle protection due à ces personnes ainsi que leurs droits fondamentaux », s’alarme de son côté Françoise Sivignon, présidente de Médecins du monde.

Plus en amont encore, l’objectif de l’UE est de couper les routes menant à la Libye : pour cela, une « meilleure coordination » avec le Niger est recherchée, ainsi qu’une surveillance accrue des frontières sud du pays. La Commission européenne prévoit de renforcer ses relations avec les pays voisins de la Libye, en l’occurrence l’Égypte, la Tunisie et l’Algérie, afin que ces États ne s’opposent pas aux expulsions effectuées par l’ex-Frontex.

Lors d’une récente conférence de presse, le commissaire européen à l’immigration, Dimitris Avramópulos, a expliqué que ces actions « pouvaient diminuer de manière considérable les flux de migrants en Méditerranée centrale ». Il a également indiqué qu’elles étaient de nature à compléter l’accord passé avec la Turquie en mars 2016 et ceux passés avec les pays subsahariens pour faciliter les retours. La haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, a assuré que l’UE veillerait à ce que les financements européens parviennent à leur destinataire.

Il est peu probable qu’un tel projet soit rapidement et intégralement mis en œuvre en l’absence d’un interlocuteur fiable en Libye – le gouvernement de Tripoli reconnu par l’ONU ne contrôle qu’une partie du territoire et, en l’occurrence, pas la frontière sud aux mains des Toubous. Mais il n’en est pas moins inquiétant, car il s’inscrit dans la politique de partenariats (dite « migration compact ») menée depuis quelques années par l’UE, qui vise à externaliser la prise en charge des réfugiés et des migrants (lire notre article).

Les ONG rappellent qu’une tout autre politique est possible : non seulement en multipliant les secours en mer pour empêcher les naufrages, mais aussi en favorisant les voies légales d’accès à l’Europe (via les visas humanitaires et le regroupement familial entre autres) pour éviter aux personnes de risquer leur vie en mer. L’Italie, comme la Grèce il y a un an, ne doit pas être laissée seule, insistent-elles, plaidant pour une répartition équitable des demandeurs d’asile à l’intérieur de l’UE.

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