“Je vois Satan tomber comme l’éclair” , See Satan Fall: ” René GIRARD ed altro

René Girard (  Avignone, 25 dicembre 1923 – Stanford, 4 novembre 2015

I See Satan Fall: Amazon.co.uk: Rene Girard

“Je vois Satan tomber comme l’éclair” René GIRARD

Né en 1923, membre de l ‘Académie Française, ancien élève de l’Ecole des Chartes et professeur émérite de littérature comparée aux Etats Unis. Il possède un doctorat d’histoire. Il publiera de nombreux ouvrages et ouvrira la voie à des découvertes scientifiques et à une pensée originale et percutante.

René GIRARD par l’analyse des textes bibliques et chrétiens et par la description des mythes, souhaite  démontrer une réalité, des processus, des mécanismes, tels que :

-la notion de scandale,

-la violence mimétique, le désir mimétique,

-le sacrifice, le meurtre fondateur,

-le bouc émissaire,

-Satan,

-la Croix,

-la façon de considérer les victimes.

Comprendre tout cela, c’est selon l’auteur essayer de rompre le cycle du mal, le cycle de Satan, rupture déjà opérée par le symbole a temporel de la Croix. Que l’on soit athée, croyant, agnostique, le travail de René GIRARD est remarquable et ouvre des réflexions et des compréhensions que pour ma part je n’avais pas entrevues.

La nature mythique des Evangiles sera-t-elle un jour démontrée « scientifiquement » ?

R.G. : « non seulement cela n’est pas certain, mais il est certain que cela n’est pas. L’assimilation des textes bibliques et chrétiens à des mythes est une erreur facile à réfuter. Le caractère irréductible de la différence judéo-chrétienne peut être démontré. C’est  cette démonstration qui fait l’essentiel du présent livre.

Mon raisonnement porte sur des données purement humaines, il relève de l’anthropologie du religieux et non pas de la théologie. Malheureusement ni les sociologues, qui se détournent systématiquement des Evangiles, ni paradoxalement les théologiens, toujours prédisposés en faveur de quelque vision philosophique de l’homme, n’ont l’esprit libre pour soupçonner l’importance anthropologique du processus dégagé par les Evangiles, l’emballement mimétique contre une victime unique.

Si la Croix démystifie toute mythologie plus efficacement que les automobiles et l’électricité de Bultmann, si elle nous débarrasse d’illusions qui se prolongent indéfiniment dans nos philosophies et nos sciences sociales, nous ne pouvons pas nous passer d’elle. Loin d’être à jamais démodée et dépassée, la religion de la Croix, dans son intégralité est cette perle de grand prix dont l’acquisition justifie plus que jamais, le sacrifice de tout ce que nous possédons.

Le savoir Biblique de la violence.

Le législateur qui interdit le désir des biens du prochain s’efforce de résoudre le problème numéro un de toute communauté humaine : la violence interne.

(Problème que nos politiques semble minorer pour des raisons idéologiques)

Pour penser que les interdits culturels sont inutiles, comme le répètent sans trop réfléchir les démagogues de la « modernité », il faut adhérer à l’individualisme le plus outrancier celui qui suppose l’autonomie totale des individus, c’est-à-dire l’autonomie de leurs désirs. Il faut penser en d’autres termes que les hommes sont naturellement enclins à ne pas désirer les biens du prochain.

On croit que le désir est objectif ou subjectif mais en réalité, il repose sur un autrui qui valorise les objets, le tiers le plus proche, le prochain. Pour maintenir la paix entre les hommes, il faut définir l’interdit en fonction de cette redoutable constatation : le prochain est le modèle de nos désirs. C’est ce que j’appelle le désir mimétique.

Les conflits inextricables qui résultent de notre double idolâtrie (du prochain et de nous-même) sont la source principale de la violence humaine. C’est pour couper court à tout cela que le Lévitique contient le commandement fameux : « tu aimeras ton prochain comme toi-même », c’est –à-dire tu ne l’aimeras ni plus ni moins que toi-même.

Si on cessait de désirer les biens du prochain, on ne se rendrait jamais coupable ni de meurtre, ni d’adultère, ni de vol, ni de faux  témoignage. S le dixième commandement était respecté, il rendrait superflus les quatre commandements qui le précèdent. Le but de la loi c’est la paix entre les hommes. Jésus ne méprise jamais la loi, même lorsqu’elle prend la forme des interdits. A la différence des penseurs modernes, il sait très bien que, pour empêcher les conflits, il faut commencer par les interdits.

Plus nous sommes « orgueilleux » et « égoïstes », plus nous nous asservissons aux modèles qui nous écrasent. Le désir mimétique nous fait échapper à l’animalité. Il est responsable en nous du meilleur comme du pire, de ce qui nous abaisse au-dessous de l’animal aussi bien que de ce qui nous élève au-dessus de lui. Nos discordes interminables sont la rançon de notre liberté. Les mots qui désignent la rivalité mimétique et ses conséquences sont le substantif skandalon et le verbe skansalizein.

Le cycle de la violence mimétique.

Il n’y a rien dans les Evangiles pour suggérer que Dieu est la cause du rassemblement contre Jésus. Ce qui motive Pilate lorsqu’il livre Jésus, c’est la peur d’une émeute. Il fait preuve dit-on, « d’habileté politique ». Sans doute mais pourquoi l’habileté politique consiste-t-elle presque toujours à s’abandonner au mimétisme collectif ? (voilà encore un fait très visible dans l’information quotidienne)

Ce qui détermine la puissance d’attraction des scandales, c’est le nombre et le prestige de ceux qu’ils réussissent à scandaliser. Les petits scandales ont tendance à se fondre dans les plus grands et les plus grands à leur tour, vont se contaminer mutuellement jusqu’à ce que les plus forts absobent les plus faibles. Il y a un concurrence mimétique des scandales qui se poursuit jusqu’au moment où le scandale le plus polarisateur reste seul en scène. A ce moment-là toute la communauté est mobilisé contre un seul et même individu. Les scandales entre individus sont les petits ruisseaux qui se fondent dans les grandes rivières de la violence collective. Ce que nous découvrons dans les Evangiles aussi bien dans la mort de Jean Baptiste que dans celle de Jésus, c’est un processus cyclique de désordre et de remise en ordre qui culmine et s’achève dans un mécanisme d’unanimité victimaire. J’emploie le mot « mécanisme » pour signifier la nature automatique du processus et de ses résultats, ainsi que l’incompréhension et même l’inconscience des participants.

Satan

Parce qu’il désire lui-même ce qu’il nous pousse à désirer, notre modèle s’oppose à notre désir. Les grandes crises débouchent sur le vrai mystère de Satan, sur son pouvoir le plus étonnant qui est celui de s’expulser lui-même et de ramener l’ordre dans les communautés humaines. C’est ce pouvoir extraordinaire qui fait de Satan le Prince de ce monde. S’il ne pouvait pas protéger son domaine des entreprises qui menacent de l’anéantir, et qui sont essentiellement les siennes, il ne mériterait pas ce titre de Prince que les Evangiles ne lui décernent pas à la légère.

La formule de Jésus : « Satan expulse Satan » à un sens précis, rationnellement explicable. C’est l’efficacité du mécanisme victimaire qu’elle définit. A ceux qui se définissent comme ses disciples, Jésus soutient que leur père n’est ni Abraham ? ni Dieu ? Comme ils l’affirment mais le diable. La raison de ce jugement est claire. Ces gens ont le diable pour père parce que ce sont les désirs du diable qu’ils veulent accomplir et non pas les désirs de Dieu. Ils prennent le diable comme modèle de leurs désirs.

La notion de cycle mimétique et de mécanisme victimaire donnent un contenu concret à une idée de Simone WEIL selon laquelle, avant même d’être une théorie de Dieu, une théologie, les Evangiles sont une théorie de l’homme » une anthropologie. Dans les Evangiles les phénomènes mimétiques et victimaires peuvent s’organiser à partir de deux notions différentes : le scandale et Satan.

L’énigme des mythes résolus.

Suite à une épidémie les Ephésiens s’adressèrent à APPOLONIUS DE TYANE pour les aider. Ci-dessous les récits que l’on peut trouver dans le livre de PHILOSTRATE « la vie d’APPOLONIUS DE TYANE ».

APPOLONIUS : « aujourd’hui je vais mettre fin à l’épidémie qui vous accable ».

Sur ces mots il conduisit le peuple entier au théâtre où une image du dieu protecteur était dressée. Il vit là une espèce de mendiant qui clignait des yeux comme s’il était aveugle et qui portait une bourse contenant une croûte de pain. L’homme, vêtu de haillons, avait quelque chose de repoussant. Disposant les Ephésiens en cercle autour de celui-ci, APPOLONIUS leur dit : « ramassez autant de pierres que vous pourrez et jetez-les sur cet ennemi des Dieux ». Les Ephésiens se demandaient où il voulait en venir. Ils se scandalisaient à l’idée de tuer un inconnu manifestement misérable qui les priait et les suppliait d’avoir pitié de lui. Revenant à la charge, APPOLONIUS poussait les Ephésiens à se jeter sur lui, à l’empêcher de s’éloigner.

Dès que certains d’entre eux suivirent ce conseil et se mirent à jeter des pierres au mendiant, lui que ses yeux clignotants faisaient paraître aveugle leur jeta soudain un regard perçant et montra des yeux pleins de feu. Les Ephésiens reconnurent alors qu’ils avaient à faire à un démon et le lapidèrent de si bon cœur que leurs pierres formèrent un grand tumulus autour de son corps.

Après un petit moment, APPOLONIUS les invita à enlever les pierres et à reconnaître l’animal sauvage qu’ils avaient mis à mort. Une fois qu’ils eurent dégagé la créature sur laquelle ils avaient lancé leurs projectiles, ils constatèrent que ce n’était pas le mendiant. A sa place, il y avait une bête qui ressemblait à un molosse, mais aussi grosse que le plus gros lion. Elle était là sous leurs yeux, réduite par leurs pierres à l’état de bouillie et vomissant de l’écume à la façon des chiens enragés. En raison de quoi, on dressa la statue du dieu protecteur, HERACLES, à l’endroit même où le mauvais esprit avit été expulsé ».

La lapidation est un mécanisme victimaire, tout comme la Passion et plus efficace encore que la Passion, sous le rapport de la violence, puisqu’il est tout à fait unanime et que la communauté se croit aussitôt débarrassée de son « épidémie de peste”.

Le symbolisme de la première pierre reste intelligible parce que même si le geste physique de la lapidation n’est plus là, la définition mimétique des comportements collectifs reste aussi valable qu’il y a 2000 ans. Pour favoriser la violence collective, il faut renforcer son inconscience, et c’est ce que fait APPOLONIUS. Pour décourager au contraire cette même violence, il faut faire sur elle la lumière, il faut respecter toute la vérité. C’est ce que fait Jésus.

La Croix est l’équivalent de la lapidation d’Ephèse. Ce processus doit être caractéristique des mythes en général, des mêmes groupes humains qui expulsent et massacrent les individus vers lesquels les soupçons convergent, mimétiquement, se mettent à les adorer lorsqu’ils se découvrent apaisés, réconciliés.

Pourquoi les Evangiles, dans leur définition la plus complète du cycle mimétique, recourent-ils à un personnage nommé Satan ou le Diable, plutôt qu’à un principe impersonnel ? La raison principale, je pense, c’est que le vrai manipulateur du processus, le sujet de la structure dans le cycle mimétique, n’est pas le sujet humain qui ne repère pas le processus circulaire dans lequel il est pris, mais bien le mimétisme lui-même. Il n’y a pas de vrai sujet en dehors du mimétisme et c’est cela que signifie en fin de compte le titre de prince de ce monde reconnu à cette absence d’être qu’est Satan.

Sacrifice.

Les mythes proprement dits font partie de la même famille textuelle que la lapidation d’APPOLONIUS, les phénomènes médiévaux de chasse aux sorcières ou encore…la Passion du Christ. Les sacrifices sont destinés : 1) à plaire aux dieux qui les ont enseignés aux hommes et 2) à consolider ou à restaurer, si besoin est, l’ordre et la paix dans la communauté.

Le meurtre fondateur.

Si on examine les grands récits d’origine et les mythes fondateurs on s’aperçoit qu’ils proclament eux-mêmes le rôle fondamental et fondateur de la victime unique et de son meurtre unanime. L’idée est partout présente. La doctrine du meurtre fondateur n’est pas seulement mythique mais biblique. Comme l’observe James WILLIAM « le signe de CAIN » est le signe de la civilisation. C’est le signe du meurtrier protégé par Dieu. Sous le rapport des rites, on peut distinguer grosso-modo trois types de sociétés. Il y a d’abord une société où le rite n’est plus rien ou presque plus rien et c’est la société contemporaine, notre société. Il y a ensuite ou plutôt il y avait naguère des sociétés où le rite accompagne en quelque sorte redouble toutes les institutions. C’est là que le rituel semble sur ajouté à des institutions qui n’ont pas besoin de lui. Les sociétés antiques et, en un autre sens, la société médiévale relèvent de ce type. C’est ce type faussement conçu comme universel  par le rationalisme qui a suggéré la thèse du religieux parasitaire. Il y a enfin les sociétés « très archaïques » et qui n’ont pas d’institutions dans notre sens mais qui ont des rites. Elles n’ont pas d’autres institutions que les rites.

Les puissances et les principautés.

Le système des puissances, avec Satan derrière lui, est un phénomène matériel, positif et simultanément spirituel, religieux en un sens très particulier, à la fois efficace et illusoire. C’est le religieux mensonger qui protège les hommes de la violence et du chaos par l’intermédiaire des rites sacrificiels.

Le triomphe de la Croix.

S’il n’y a que des différences entre les religions, elles ne font plus qu’une seule et vaste indifférenciation. On ne peut plus dire vraies ou fausses qu’on ne peut dire vrais ou faux un conte de FLAUBERT ou un conte de MAUPASSANT . Ce sont deux œuvres de fiction et tenir l’une des deux pour plus vraie que l’autre serait absurde. La nature systématique de l’opposition entre le mythe et le récit biblique suggère que ce dernier obéît à une inspiration anti mythologique. Et cette inspiration révèle sur les mythes, quelque chose d’essentiel qui reste invisible en dehors de la perspective adoptée par le récit biblique. Les mythes condamnent toujours toutes les victimes isolées et universellement accablées. Ils sont l’œuvre de foules surexcités incapables de repérer et de critiquer leur propre tendance à expulser et massacrer les êtres sans défense, des boucs émissaires qu’ils tiennent toujours pour coupables des mêmes crimes stéréotypés, parricides, incestes, fornification bestiale et autres méfaits horrifiques et la récurrence perpétuelle et invraisemblable dénonce l’absurdité.

Le récit biblique condamne la tendance générale des mythes à justifier les violences collectives, la nature accusatrice, vindicative de la mythologie. Dans l’univers biblique  les hommes sont aussi violents en règle générale que dans les univers mythiques et les mécanismes victimaires abondant ce qui diffère en revanche, c’est la Bible, dont l’interprétation biblique de ces phénomènes/

L’inversion du rapport d’innocence et de culpabilité entre victimes et bourreaux est la pierre d’angle de l’inspiration biblique. L’unanimité dans les groupes humains est rarement porteuse de vérité, elle n’est le plus souvent qu’un phénomène mimétique tyrannique.

Singularité des Evangiles.

Les divinations mythiques s’expliquent très bien, nous l’avons vu, par l’opération du cycle mimétique. Elles reposent sur l’aptitude des victimes à polariser la violence, à fournir aux conflits l’abcès de fixation qui les résorbe et les apaise. Si le transfert qui démonise la victime est très puissant, la réconciliation est si soudaine et parfaite qu’elle paraît miraculeuse et suscite un second transfert qui la superpose au premier, le transfert de divination mythologique.

Les Evangiles révèlent donc la vérité pleine et entière sur la genèse des mythes, sur la puissance d’illusion des emballements mimétiques, sur tout ce que les mythes forcément ne révèlent pas puisqu’ils en sont toujours les dupes. « Ils m’ont trahi sans raison » (Ps.35, 19). Banale en apparence, cette phrase exprime la nature essentielle de l’hostilité contre la victime. Elle est sans raison, précisément parce qu’elle est le fruit d’une contagion mimétique plutôt que de motifs rationnels, ou même d’un sentiment vrai chez les individus qui la ressentent.

Le triomphe de la Croix.

Avant le Christ l’accusation satanique était toujours victorieuse en vertu de la contagion violente qui enfermait les hommes dans les systèmes mythico-rituels. La croix fait triompher la vérité car, dans les récits évangéliques, la fausseté de l’accusation est révélée, l’imposture de Satan ou, ce qui revient au même, celle des principautés et des puissances est à jamais discréditée dans le sillage de la crucifixion. Ce qu’il faut retenir ici dans l’idée du triomphe ce n’est pas l’aspect militaire, c’est l’idée d’un spectacle offert à tous les hommes, c’est l’exhibition publique de ce que l’ennemi aurait dû dissimuler afin de se protéger, afin de persévérer dans son être que lui dérobe la croix. En privant le mécanisme victimaire des ténèbres dont il doit s’entourer pour gouverner toutes choses, la Croix bouleverse le monde. Sa lumière prive de son pouvoir principal celui d’expulser Satan. Une fois que ce soleil noir sera tout entier éclairé par la croix, il ne pourra plus limiter sa capacité de destruction. Satan détruira son royaume et il se détruira lui-même.

En nous permettant d’accéder à l’intelligence du mécanisme victimaire et des cycles mimétiques, les récits de la Passion permettent aux hommes de repérer leur prison invisible et de comprendre leur besoin de rédemption.

Bouc émissaire.

La vraie source des substitutions victimaires c’est l’appétit de violence qui s’éveille chez les hommes lorsque la colère les saisit et lorsque, pour une raison ou pour une autre, l’objet réel de cette colère est intouchable. « N’allez pas croire que je suis venu pour apporter la paix sur la terre, je ne suis pas venu apporter la paix, mais la guerre. Je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère : on aura pour ennemie les gens de sa famille (Mt. 10, 34-16). D’un univers privé de protections sacrificielles, les rivalités mimétiques se font souvent  moins violentes mais s’insinuent jusque dans les rapports les plus intimes. C’est ce qui explique le détail du texte que je viens de citer : le fils en guerre contre son père, la fille contre sa mère, etc…Ses rapports les plus intimes se transforment en oppositions symétriques, en rapports de double, de jumeaux ennemis. Ce texte nous permet de repérer la vraie genèse de ce qu’on appelle la psychologie moderne.

Le souci moderne des victimes.

Un examen un tant soit peu attentif montre que tout ce qu’on peut dire contre notre monde est vrai : il est de très loin le pire de tous. Aucun monde, on le répète sans cesse et ce n’est pas faux, n’a jamais fait plus de victimes que lui. Mais les propositions les plus opposées sont toutes également vraies à son sujet : notre monde est aussi et de très loin le meilleur des mondes, celui qui sauve le plus de victimes. Il nous contraint à multiplier toutes sortes de propositions incompatibles les unes avec les autres.

Inventer l’hôpital c’est dissocier pour la première fois la notion de victime de toute appartenance concrète, c’est inventer la notion moderne de victime. Dans ce qu’on appelle aujourd’hui les « droits de l’homme » l’essentiel est une compréhension du fait que tout individu ou tout groupe d’individus peut devenir le « bouc émissaire » de sa propre communauté. Mettre l’accent sur les droits de l’homme c’est s’efforcer de prévenir et de contrôler les emballements mimétiques incontrôlables.

Le double héritage nietzschéen.

Depuis des siècles, le plus de justice que nous devons aux soucis des victimes libère nos énergies, augmente notre puissance mais nous soumet également à des tentations auxquelles le plus souvent nous succombons, conquêtes coloniales, abus de pouvoir, guerres monstrueuses du XXème siècle, mise au pillage de la planète, etc…

« Dionysos contre le crucifié » : la voici bien l’opposition. Ce n’est pas une différence quant au martyre, mais celui-ci a un sens différent. La vie même, son éternelle fécondité, son éternel retour, détermine le tournant, la destruction, la volonté d’anéantir. Dans l’autre cas, la souffrance, le « crucifié » en tant qu’il est l’ » innocent », sert d’argument contre cette vie, de formule de sa condamnation » Nietzsche fragments posthumes 1888-1889.

Entre Dionysos et Jésus, il n’y a « pas de différence quant au martyre », autrement dit les récits de la Passion racontent le même type de drame que les mythes, c’est le « sens » qui est différent. Tandis que Dionysos approuve et organise le lynchage de la victime unique, Jésus et les Evangiles le désapprouvent. Malgré d’innombrables victimes, l’entreprise hitlérienne a fini par échouer. Loin d’étouffer le souci des victimes, elle a accéléré ses progrès mai l’a complètement démoralisé. L’hitlérisme se venge de son échec en désespérant le souci des victimes, en le rendant caricaturale.

Depuis l’holocauste, en revanche, on n’ose plus s’en prendre au judaïsme, et le christianisme est promu au rôle de bouc émissaire numéro un. L’antéchrist se flatte d’apporter aux hommes la paix et la tolérance ce que le christianisme leur promet mais ne leur apporte pas.

Conclusions. 

La vraie démystification n’a rien à voir avec les automobiles et l’électricité, contrairement à ce que BULTMAN imaginait, elle vient de notre tradition religieuse. Nous autres « modernes » croyons posséder la science infuse du seul fait que nous baignons dans « notre modernité ». Cette tautologie que nous nous répétons depuis trois siècles nous dispense de penser.

Pour rompre l’unanimité mimétique, il faut postuler une force supérieure à la contagion violente et, si nous avons appris une seule chose dans cet essai, c’est qu’il n’en existe aucune sur cette terre. La résurrection fait appréhender à Pierre et à Paul, et derrière eux à tous les croyants, que tout enfermement dans la violence sacrée est violence contre le Christ. L’homme n’est jamais la victime de Dieu, Dieu est toujours la victime de l’homme. »

http://lirephilosopher.canalblog.com/archives/2014/06/17/30090619.html


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