Émeutes à Amiens : l’inquiétante banalisation de la violence sociale

Le malheur des hommes ne doit jamais être un reste muet de la politique“.

Michel Foucault, 1984

 

Par Alain Bertho
Anthropologue

 

LE PLUS. La nuit dernière, Amiens a été le théâtre de violents affrontements entre la jeunesse et la police, suite à un contrôle de police un peu musclé. Des émeutes qui font écho à celles de Clichy-sous-Bois ou Villiers-le-Bel en 2005 et 2007. Alain Bertho, anthropologue spécialiste de ces phénomènes, nous met en garde contre la banalisation de cette violence, reflet d’un climat social alarmant.

Les échauffourées qui ont eu lieu à Amiens le 13 août ne sont pas vraiment une surprise. Ces événements confirment le maintien, depuis au moins dix ans d’un contentieux lourd entre la jeunesse populaire urbaine et la police, notamment, en France, la brigade anti-criminalité. Là, c’est un contrôle de police un peu musclé qui semble à l’origine des affrontements. C’est une situation extrêmement classique, que l’on observe très régulièrement ailleurs, à la Grande Borne, à Grigny, par exemple.

Une grande tension entre les jeunes et l’État

Cette tension extrême entre une jeunesse stigmatisée, défavorisée et l’État, représenté par la police a pu prendre des dimensions plus dramatiques. On se rappelle les émeutes qui ont suivi, dans toute la France, la mort de Bouna Traoré et Zyed Benna dans le transformateur de Clichy-sous-Bois en octobre 2005.

Plus localisée, l’émeute qui avait secoué Villiers-Le-Bel en 2007 après la mort de Mushin et Larami avait été d’une grande violence. Mais le contentieux se vit aussi au quotidien, dans de multiples humiliations, de très nombreux accrochages forts bien décortiqués dans le documentaire de Marwan Mohamed et Samuel Luret de 2010 (“la tentation de l’émeute“, ARTE-Morgane production). Et le contentieux s’élargit car les jeunes aujourd’hui impliqués n’étaient encore que des enfants en 2005…

Un phénomène mondial

Lorsque l’on suit un peu attentivement le phénomène, on s’aperçoit que les échauffourées, sinon les émeutes, sont très fréquentes et ne font pas souvent la une des journaux. C’est ici un autobus qui brûle, là des jets de pierre et de bouteilles, ailleurs des voitures incendiées… Le 24 mai, c’est encore la mort d’un jeune à Massy qui a provoqué des affrontements. Cette situation est particulièrement grave en France mais n’est pas propre à notre pays.

Dans le monde depuis 2001, plus de 100 émeutes ont suivi la mort d’un jeune dans laquelle la responsabilité des forces de police était impliquée. Sur tous les continents. On en a eu un exemple à Londres il y a à peine un an, comme à Sidi Bouzid le 17 décembre 2010.

Une banalisation inquiétante

L’émeute nous rappelle régulièrement au réel de cette blessure sociale. Mais le réveil ne dure jamais longtemps.

On en parle pendant trois jours, puis on oublie. Le mot que l’on pourrait employer, c’est la “banalisation”. Non qu’il soit “banal” d’affronter la police, avec tous les risques que cela comprend, moins pour sa vie en France que pour des suites judiciaires qui peuvent abolir tout avenir : ces jeunes se mettent gravement en danger pour exprimer une rage, un sentiment d’injustice qu’on ne leur donne pas la possibilité d’exprimer autrement.

Mais parce que l’histoire se répète dans une sorte d’indifférence tranquille.

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/609642-emeutes-a-amiens-l-inquietante-banalisation-de-la-violence-sociale.html

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