Venezuela, « un socialisme pétrolier »

Entretien, par Jean-Baptiste Mouttet| 31 mai 2012

Le président socialiste Hugo Chavez divise autant qu’il rassemble. Dans Venezuela : Révolution ou spectacle, l’anarchiste Rafael Uzcátegui tente d’analyser la révolution bolivarienne sans tomber dans les travers caricaturaux des deux camps.

Regards.fr : Vous qualifiez la révolution de « spectacle ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Rafael Uzcátegui : Il y a eu tant de situations inexplicables que seule la qualification de « spectacle » donne une cohérence. Comment expliquer qu’un pays qui tient un discours sur la souveraineté alimentaire importe toujours plus de nourriture ? Qu’un gouvernement qui a un discours sur la souveraineté énergétique ralentisse le processus de nationalisation du pétrole démarré en 1975 ? En 2004, se sont créées au Venezuela des entreprises mixtes pour exploiter les gisements pétroliers alors qu’auparavant les sociétés étrangères étaient simplement sollicitées en fonction des besoins. C’est un discours en décalage avec la réalité de la population. J’ai donc emprunté ce concept de « spectacle » à Guy Debord. À la relation réelle entre les personnes s’est substituée une relation entre images.

Regards.fr : Vous écrivez que la présidence de Hugo Chávez n’est pas une rupture mais une continuation dans l’histoire du Venezuela. Ce n’est donc pas une révolution ?

Rafael Uzcátegui : Hugo Chávez cherche à démontrer que les avancées sociales participent d’un phénomène nouveau. Or de 1958 à 1981, les Vénézuéliens bénéficiaient déjà de politiques sociales. À partir de 1958, le Venezuela a mis en place un réseau d’hôpitaux gratuits. Avant la mission Robinson (programme social de lutte contre l’analphabétisme, ndlr), une politique similaire s’était développée au début des années 1980 avec le plan Acude. Hugo Chávez a pu réduire quasiment à zéro le taux d’analphabétisme car il a aussi bénéficié des efforts réalisés dans le passé.

Regards.fr : Vous critiquez la politique menée par le président socialiste mais il y a tout de même eu des avancées…

Rafael Uzcátegui : Il y a eu des avancées, oui. Mais il faut se demander si cela est suffisant et si cette politique s’est attaquée aux causes structurelles de la pauvreté. Par exemple, grâce à la mission Barrio Adentro (soins médicaux dispensés gratuitement à la population, ndlr) 18 000 médecins cubains sont venus au Venezuela. Cela a amélioré l’attention portée aux problèmes de santé primaire des Vénézuéliens. Mais le réseau hospitalier, lui, est toujours déficient. Hugo Chávez a d’ailleurs soigné sa propre maladie en dehors du Venezuela. Il y a eu un âge d’or des missions entre 2005 et 2009 grâce à l’augmentation du prix du pétrole. C’est un socialisme pétrolier qui a permis la création d’un réseau de commerces d’alimentation à des prix régulés, l’augmentation du nombre de personne insérées dans le système éducatif et l’amélioration des droits sociaux. Mais il n’y a pas de continuité. Certaines missions ralentissent et même disparaissent aujourd’hui. La moitié des médecins cubains sont retournés à Cuba et n’ont pas été remplacés par des médecins Vénézuéliens. Des dispensaires ont fermé. Il y a peu d’espaces publics, les grandes places sont désormais des centres commerciaux, l’offre culturelle s’est réduite… À gauche, nous croyons que la violence est liée à la situation de pauvreté, au manque d’opportunité ou à des phénomènes d’exclusion. Or, même si cette situation de violence existait avant Hugo Chávez, elle a augmenté. Selon les chiffres officiels, il y aurait entre 16 000 et 19 000 homicides par an. Cette violence a eu des répercussions sur la qualité de vie des Vénézuéliens.

Regards.fr : De nombreux mouvements sociaux appuient pourtant la révolution bolivarienne ?

Rafael Uzcátegui : Après le Caracazo (émeutes qui causèrent la mort de 300 à 3 000 personnes selon les estimations après que le pays ait mis en place les revendications du FMI en 1989, ndlr) il y eut des mouvements étudiants, écologistes ou de défense des droits de l’homme. Le gouvernement socialiste en a créé de nouveaux et les plus anciens se sont divisés ou ont disparu. Dans ces nouveaux mouvements, il y a la croyance en ce concept de « processus ». Nous serions dans une période de transition qui amènerait au « socialisme bolivarien ». Les membres de ces mouvements hypothèquent leurs propres revendications pour un futur incertain. Toutes leurs identités : féministes, écologistes etc., passent après la principale qui est d’être chaviste. Il n’est donc pas possible d’introduire de nouveaux débats sans que cela ne soit perçu comme « suspect ». Les mouvements sociaux ont subordonné leurs revendications à l’agenda politique. Lors de la journée nationale des femmes, les revendications de la manifestation à Caracas portaient davantage sur la santé du président que sur la légalisation de l’avortement.

Regards.fr : Les conditions de travail se sont-elles améliorées ?

Rafael Uzcátegui : Avec Provea, nous nous sommes aperçus qu’il y a de plus en plus de flexibilisation du travail via le recours à des emplois à durée déterminée. C’est notamment le cas dans les coopératives, qui sont très nombreuses mais souvent dépendantes de l’État. Ces personnes ne sont pas soumises aux mêmes droits du travail. La moitié des employés des ministères sont précaires. Les grèves sont criminalisées. Des syndicalistes sont emprisonnés en attendant d’être jugés pour avoir organisé une grève, une marche, bloqué une route, etc. Avant Hugo Chávez, les augmentations salariales étaient discutées chaque année par le gouvernement, les entreprises privées et les syndicats. Aujourd’hui, cette décision est prise unilatéralement par le gouvernement.

Regards.fr : Vous écrivez que le capitalisme est « un cadavre en parfaite santé » au Venezuela…

Rafael Uzcátegui : Nous ne sommes pas en présence d’un véritable processus révolutionnaire. La rente pétrolière a créé une culture de l’argent facile, de la consommation. Les Sandinistes au Nicaragua vivaient de manière modeste en accord avec leurs idéaux. Les grandes figures du chavisme, les hauts fonctionnaires Vénézuéliens n’utilisent pas les missions sociales, ils préfèrent sortir du pays pour se faire soigner, et mettent leurs enfants dans des écoles privées. La « bolibourgeoisie  » vit une réalité totalement différente de celle qu’elle promeut. La culture des Vénézuéliens n’a pas beaucoup changé.

Regards.fr : Dans votre ouvrage vous critiquez les intellectuels de gauche qui ont parfois une vision tronquée du Venezuela. Vous nommez notamment Noam Chomsky. Comment expliquez-vous qu’Hugo Chávez suscite tant d’admiration ?

Rafael Uzcátegui : L’admiration pour Hugo Chávez est une conséquence de la crise mondiale de la gauche. Il y a une sorte de confort de la part de certains intellectuels à ne pas voir les contradictions de leurs thèses. Avoir une vision critique sans faire partie de l’opposition, et construire des alternatives est une position qui condamne à la solitude, ce que peu de personnes sont prêtes à expérimenter.

http://www.regards.fr/monde/venezuela-un-socialisme-petrolier,5437

 

En savoir plus…

  • Rafael Uzcátegui est un militant libertaire vénézuélien, et responsable du service enquête de Provea, une organisation de défense des droits de l’homme.

Il est l’auteur de Venezuela : Révolution ou spectacle ? éd. Les Amis de Spartacus, 272p., 14€.

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