XII Mémoires de Louise Michel

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XII

J’ai dit un seul mot de l’instruction élémentaire. Quelques lignes encore à ce sujet.

Les morts d’abord : un grand vieillard à la tête toute blanche expliquait aux cours du soir de cette rue Hautefeuille que nous aimions tant une chose bien utile et bien peu connue dans l’instruction : la sténographie, grâce à laquelle tant de choses seraient abrégées. On a si peu de temps pour les études et on le gaspille tant.

Jamais je ne vis mieux la bonté peinte sur un visage que sur celui du vénérable Grosselin.

Qui donc encore est mort, pendant les dix ans de la déportation et mes deux ans de prison ? Depuis je n’ai pas lu les journaux, je ne sais donc rien de ceux qui s’en sont allés.

Celles qui, sous l’Empire, jeunes institutrices ou se préparant à le devenir, étaient avides de ce savoir dont les femmes n’ont que ce qu’elles ravissent de côté et d’autre, venaient rue Hautefeuille s’assoiffer encore de science et de liberté.

Que de bonnes amitiés nouées là, quelques-unes brisées par la mort ; d’autres perdues au au fond de ce remuement des événements qui nous a jetées de côté et d’autre comme le grain secoué par le vanneur !

Des initiales, seulement, pour celles qui vivent.

Qui sait ce qui leur arriverait si on découvrait que nous nous sommes souvent coudoyées dans la petite salle de la rue Hautefeuille !

Quoi ! Vous connaissez Louise Michel ? Allez la rejoindre en prison ; il n’y a que des anarchistes qui peuvent la connaître.

Cette misérable n’a-t-elle pas cent fois déclaré que tous doivent avoir part au banquet de la vie ? Où serait le plaisir de la richesse s’il n’y avait pas à comparer sa position de gorgé à celle des crève de faim ? Où serait l’agréable sentiment de la sécurité si on ne comparait pas sa bonne position bien solide à la situation de ceux qui traînent dans la misère ?

Et c’est une femme encore ! c’est là le comble. Si, seulement, on pouvait la berner tant soit peu avec l’idée que les femmes obtiendront leurs droits en les demandant aux hommes ; mais elle a l’infamie de dire que le sexe fort est tout aussi esclave que le sexe faible, qu’il ne peut donner ce qu’il n’a pas lui-même et que toutes les inégalités tomberont du même coup, quand hommes et femmes donneront pour la lutte décisive.

Ce monstre prétend que, chez nous, hommes et femmes, il n’y a pas de responsabilité et que c’est la bêtise humaine qui cause tout le mal ; que la politique est une forme de la stupidité qui ne sait pas agrandir ses petites vanités et en faire l’immense orgueil de la race humaine.

Si cette femme-là était la seule on dirait : C’est un cas pathologique. Mais il y en a des milliers, des millions, qui se foutent de toute autorité et qui s’en vont jetant le cri des Russes : Terre et liberté.

Eh oui, messieurs, il y en a des millions qui se foutent de toute autorité, parce qu’elles ont vu les petits travaux accomplis par le vieil outil à multiples tranchants qu’on appelle le pouvoir. Est-ce que nous ne voyons pas, depuis trop longtemps, les égorgements qui ont lieu pour cette petite chose-là. On le dirait vraiment aussi précieux que la hache de jade, sauvée d’île en île par les Océaniens de l’île Bourou.

Cette fois, ce n’est pas une nouvelle population qui en résulte, mais la dépopulation des gouvernés, la crétinisation des gouvernants.

Allons, une bonne fois à l’eau les institutions pourries et que les hommes soient conscients et libres !

Certains ont été les présidents de l’instruction élémentaire, qui ne se doutaient pas alors des choses que l’autorité leur ferait commettre.

La science et la liberté ! Comme c’était bon et vivifiant ces choses-là, respirées sous l’Empire dans ce petit coin perdu de Paris !

Comme on y était bien, le soir, en petits groupes, et aussi les jours de grandes séances où, plus nombreuses, on laissait aux étrangères la salle entière !

Nous nous placions, le petit tas des enthousiastes, dans le carré près du bureau où était la boîte du squelette avec une foule d’autres choses dont le voisinage nous plaisait.

De là, au fond de l’ombre, nous entendions et voyions bien mieux.

La petite salle débordait de vie, de jeunesse ; on vivait en avant, bien en avant, au temps où tous auront une autre existence que celle des bêtes de somme dont on utilise le travail et le sang.

Surtout cinq ou six ans avant le siège, la rue Hautefeuille formait, au milieu du Paris impérial, une retraite propre où ne venait pas l’odeur du charnier ; quelquefois les cours d’histoire grondaient en Marseillaise et cela sentait la poudre.

Comment trouvions-nous le temps d’assister à ces cours plusieurs fois par semaine ? Il y en avait de physique, de chimie, de droit même ; on y essayait des méthodes. Comment pouvions-nous, outre nos classes, faire nous-mêmes des cours ? Je n’ai jamais compris que le temps peut être aussi élastique ! Il est vrai qu’on n’en perdait pas et que les journées se prolongeaient ; minuit semblait de bonne heure.

Plusieurs d’entre nous avaient repris, à bâtons rompus, des études pour le baccalauréat ; mon ancienne passion, l’algèbre, me tenait de nouveau et je pouvais vérifier (cette fois avec certitude) que, pour peu qu’on ne soit pas un idiot, on peut, pour les mathématiques se passer de maître (en ne laissant aucune formule sans le savoir, aucun problème sans le trouver).

Une rage de savoir nous tenait et cela nous reposait de nous retrouver, deux ou trois fois par semaine, sur les bancs nous-mêmes, côte à côte avec les plus avancées de nos élèves que nous emmenions quelquefois ; heureuses et fières, elles ne songeaient guère à l’heure.

Plus on s’enfiévrait de toutes ces choses, plus on avait, par instants, des gaietés d’enfant. Nous faisions bien.

Combien de caricatures, de folies, de gamineries échangées ! Je crois que nous avons plus souvent ressemblé à des étudiants qu’à des institutrices.

Il me souvient d’un soir où nous avions essayé la méthode Danel où, comme en Angleterre et en Allemagne, le nom des notes est tiré des lettres de l’alphabet (avec cette différence qu’on les écrit sans portée) ; nous sortions tard de la rue Hautefeuille, il n’y avait plus d’omnibus et nous regagnions pédestrement nos réduits ; un imbécile se mit à me suivre ; haut monté, sur ses longues jambes de héron, je m’amusai d’abord à regarder, sous les réverbères, glisser cette ombre d’oiseau.

Puis, impatientée de l’entendre répéter de ces sottises à l’usage des gens qui ignorent si on leur répondra, ce qui me gâtait l’oiseau fantastique trottant sur ses longues pattes, je le regardai tout à fait en face et, de ma plus grosse voix, je me mis à descendre la gamme Danel : D, B, L, S, F, M, R, D !

L’effet fut foudroyant.

Était-ce l’accent un peu masculin ou les syllabes étranges formées par les quatre dernières lettres, je ne l’ai jamais su : l’oiseau avait disparu.

Une autre fois, ayant un grand manteau qui m’enveloppait complètement, une sorte de large chapeau de peluche qui faisait beaucoup d’ombre sur le visage et des bottines neuves (du Temple) dont, je ne sais pourquoi, les talons sonnent très fort, je retournais à pied, assez tard ; on parlait beaucoup d’attaques nocturnes dans les journaux et un bon bourgeois qui entendait sonner mes bottines et ne distinguait pas, sans doute, la forme noire qui venait de son côté, se mit à trotter avec une telle frayeur que j’eus l’idée de le suivre un peu de temps pour le bien effaroucher.

Il allait, il allait, regardant si personne ne viendrait à son secours ! La nuit était noire, les rues désertes, le bourgeois avait une peur bleue et moi je m’amusais beaucoup.

Il allongeait le pas tant qu’il pouvait, et moi je passais dans l’ombre en faisant sonner mes talons : c’était ce qui entretenait son effroi.

Je ne savais plus dans quel quartier c’était, quand je laissai partir le bourgeois en lui criant : Faut-il être bête !

Il fallait revenir et cette nuit-là je rentrai bien tard ou plutôt bien matin, ne riant plus ; car j’avais vu, la nuit, des gens qui vivent de proie ou qui sont proie eux-mêmes : une nuit de ce qu’on appelle la société civilisée.

Il m’en reste des strophes lugubres, écrites en rentrant, tandis que Mme Vollier (malgré ma précaution journalière de retarder la pendule) grondait tout en s’inquiétant, la pauvre femme, comme l’eût fait ma mère, de la fatigue que j’éprouverais dans la journée, après la course que je lui racontais. Voici les strophes :

Toute l’ombre a versé ses ténébreuses urnes,

Toute la sombre nuit ses spectres taciturnes.

L’eau dort sinistre et glauque et, dans son lit profond,

Gouffre toujours ouvert dans le morne silence,

On entend tout à coup vers le mystère immense

Quelque chose tomber d’un pont,

….

Tandis qu’à la lueur des pâles réverbères,

Vont, errant dans la nuit, les sublimes misères,

Fantômes plus affreux que les froids trépassés ;

Des spectres embusqués sous les portes, dans l’ombre ;

Des spectres se glissant et sans nom et sans ombre

Par d’autres spectres effacés

Eh bien, oui, j’en ai vu des bandits et des filles,

Et je leur ai parlé. Croyez-vous qu’ils soient nés

Pour être ce qu’ils sont et traîner leurs guenilles

Dans le sang ou la fange, au mal prédestinés ?

Non, vous les avez faits, vous pour qui tout est proie,

Ce qu’ils sont aujourd’hui

Oui j’en avais vu des bandits et des filles et je leur avais parlé. Combien j’en vis depuis et combien de choses ils me racontèrent !

Est-ce que vous croyez qu’on vient au monde avec un couteau ouvert pour chouriner ou une carte à la main pour se vendre ? On n’y vient pas non plus avec une canne plombée pour être sbire, ou un portefeuille de ministre pour être pris des vertiges du pouvoir, et traîner des nations dans sa chute.

Nul bandit qui n’aurait pu être un honnête homme ! Nul honnête homme qui ne soit capable de commettre des crimes dans les affolements où jettent les préjugés du vieux monde maudit !

Ce même Jules Favre qui trempa dans l’égorgement de Paris, parce que le pouvoir l’avait empoisonné (comme il empoisonne du sang au cerveau tous ceux qu’on revêt de cette tunique de Nessus), ce même Jules Favre nous l’avions aimé comme un père et il était avec nous d’une bonté paternelle.

Combien de fois, sous prétexte qu’il était notre président, je lui conduisis des gens qui avaient besoin d’une consultation d’avocat et ne pouvaient la payer !

Il me souvient qu’un jour où je lui avais conduit une vieille un peu atteinte de la maladie de la persécution et qu’il fallait rassurer, pour la guérir peut-être ! — il avait perdu pas mal de temps à la raisonner — Jules Favre vint à moi tout à fait fâché.

L’angle obtus que formaient son front et son menton se refermait en angle droit, c’était mauvais signe.

— C’est trop fort ! me dit-il à voix basse, tandis que la vieille faisait un tas de révérences tout en murmurant : il y a vingt ans que je suis persécutée, etc., etc.

Je vois encore l’endroit où cela se passait, près d’une grande urne offerte par ses électeurs. Je ne sais quelle immense envie de rire me prit, et cela de si bon cœur que l’angle droit du profil de Jules Favre se reforma en angle obtus où, comme à l’ordinaire, l’œil brillait au sommet, faisant le menton d’une des droites et le front de l’autre ; lui-même ne put s’empêcher de rire, et la vieille toujours faisant des révérences disait : merci bien ! À une autre fois ! À bientôt !

Je songeai à cela à Satory, en regardant la petite mare où buvaient les prisonniers dans le creux de leur main, quand ils avaient trop soif et que la grande pluie qui tombait sur eux avait balayé l’écume rose de la mare (les vainqueurs y lavaient leurs mains, souvent plus rouges que celles des bouchers).

Il me semblait voir sortir cette mare sanglante de l’urne d’autrefois, comme on représente la source des fleuves.

Qui écrira les crimes du pouvoir et la façon monstrueuse dont il transforme les hommes, de façon à ce qu’on détruise à jamais ses crimes en l’étendant à toute la race humaine ?

Il n’y a qu’à grandir les choses pour qu’elles sauvent au lieu de perdre :

Étendre le sentiment de la patrie au monde entier ; le bien-être, la science, à toute l’humanité.

Ne restera-t-il pas assez de la mort qui nous prend ceux que nous aimons ?

Je reviens à la rue Hautefeuille.

Un autre président avec qui nous étions hardies, c’était Eugène Pelletan, ce visage aux yeux de braise, enfoncé sous d’épais sourcils gris, avait quelque chose d’étrange qui nous rappelait Nicolas Flamel, Cagliostro, enfin ces savants dont s’empare la légende ; c’était surtout quand il était au bureau que nous aimions à nous blottir dans le cabinet au squelette, regardant de là, écoutant, prises par la poésie de la science, par les paroles de liberté, par l’amour de la République et la haine des Césars.

Combien d’ouvrages effeuillés aujourd’hui furent commencés sous ces impressions !

Il me souvient d’un énorme manuscrit, la Sagesse d’un fou, que je portai à Eugène Pelletan, alors notre président, pour qu’il le lût et m’en dît son avis. J’ai compris depuis quelle patience il lui avait fallu pour lire cet énorme grimoire et en annoter quelques passages.

— Non, avait-il écrit, ce n’est pas la sagesse d’un fou, ce sera un jour la sagesse des peuples.

En rapportant mon manuscrit, il me semblait marcher en l’air ! J’en relus une bonne partie soigneusement, puis le temps me manqua, il fallait de plus en plus donner des leçons après les classes, et la Sagesse d’un fou alla avec les autres ouvrage. Peut-être aurais-je cherché un éditeur pour celui-là si j’avais eu le temps.

Maria L…, aussi, avait effeuillé bien des choses. Jeanne B… et peut-être sa sœur devaient avoir des manuscrits en train. Julie L… et Mlle Poulin (que je puis nommer puisqu’elle est morte) ont jeté au vent bien des vers. Il y avait, rue Hautefeuille, une véritable pépinière de bas bleus, les deux dernières années avant 71.

Mais prose, vers et motifs s’en allaient au vent ; nous sentions tout près le souffle du drame dans la rue, le vrai drame, celui de l’humanité ; les bardits chantaient l’épopée nouvelle, il n’y avait plus de place pour autre chose.

Les écoles professionnelles pour lesquelles nous aimions M. Jules Simon, avaient alors tout notre enthousiasme. Quelques poignées de jeunes filles, à peine, y étaient sauvées de l’apprentissage et pourvues d’états ou de diplômes, suivant leurs aptitudes ; des artistes en sortirent et nous disions : — Voici venir la République ; cette poignée ce sera toutes. Hélas !

À l’école professionnelle de Mme Paulin, pendant le siège, des femmes de toutes les positions sociales se réunissaient, et toutes eussent préféré mourir plutôt que de se rendre. On émiettait le mieux qu’on pouvait tous les secours qu’on se procurait, rançonnant ceux qui pouvaient l’être en disant : — Il faut que Paris résiste, résiste toujours. C’était la Société pour les victimes de la guerre.

Je les revois toutes telles qu’autrefois, à quelques-unes près. J’ignore celles qui vivent encore, mais pas une d’elles n’a failli, — celles-là n’étaient pas de ces franc-fileuses qui, au jour de la défaite, fouillèrent du bout de leur ombrelle les yeux des fédérés morts.

La première visite que je pus avoir, étant prisonnière, fut celle de l’une d’elles, Mme Meurice. À mon dernier jugement j’ai vu derrière les spectateurs triés — parmi ceux qui étaient entrée moins facilement — briller les yeux noirs d’une autre, de deux autres même : l’une grande, Jeanne B… ; l’autre petite, Mme F…

Plus loin (lorsque j’en aurai obtenu d’elles-mêmes l’autorisation), je parlerai des femmes et des sociétés de femmes, depuis le Comité de vigilance jusqu’à notre dernière évolution : la Ligue des femmes. Je les salue en passant, toutes ces braves de l’avant-garde, échelonnées de groupe en groupe, comme de sommet en sommet.

Gare pour le vieux monde le jour où les femmes diront : C’est assez comme cela ! Elles ne lâchent pas, elles ; en elles s’est réfugiée la force, elles ne sont pas usées. Gare aux femmes !

Depuis celles qui, comme Paule Minck, parcourent l’Europe en agitant le drapeau de la liberté, jusqu’à la plus paisible des filles de Gaule, endormies dans la grande résignation des champs, oui, gare aux femmes, quand elles se lèveront, écœurées devant tout ce qui se passe !

Ce jour-là ce sera fini, le monde nouveau commencera.

Nous avions, les dernières années de l’Empire, une école professionnelle gratuite rue Thévenot ; chacune de nous y donnant quelques heures, trois fois par semaine, et la Société pour l’instruction élémentaire se chargeant du loyer, la maison marchait ; un de nos professeurs, que nous appelions le docteur Francolinus, y déployait une activité diabolique. Quelquefois la police de l’Empire nous faisait le plaisir d’assister à nos cours, cela faisait rire et on enlevait mieux son heure de leçon en donnant de temps à autre un bon coup de griffe qui attrapait par ses vilaines moustaches d’hyène l’homme qu’on appelait Napoléon III.

Les cours de littérature et de géographie ancienne étaient faits deux jours par moi, deux jours par Charles de S…, absolument de la même manière : le côté réel qu’on croirait romanesque ; l’enfance, la jeunesse, la décrépitude des villes et des peuples, pareilles à la vie de chaque être et à celle de tout le genre humain ; les villes-fantômes se dressant devant nous. Mon amie Maria A…, la directrice, avait été avec Julie L… au faubourg Antoine.

Combien de fois, nous reconduisant l’une l’autre, jusque bien par-delà l’heure où il n’y avait plus à regarder les étalages de libraires ni à lire, entre les feuillets, les livres exposés au dehors, nous rentrions ayant fait ainsi sans nous en douter bien des lieues, allant et revenant du faubourg à la rue du Château-d’Eau !

Combien de farces faites ensemble les soirs où nous étions tristes ! Cet éclat de rire coupait l’ombre.

Elle ne voulut pas entrer avec moi chez un photographe, un soir que, m’étant procuré un horrible portrait et l’ayant chargé encore de détails fantaisistes, je dis au photographe avec l’accent de Bourmont un peu exagéré : « Monsieur, j’ai vu sur votre porte : Photographie en pied. Veuillez mettre des pieds au portrait de mon mari que voici. »

Tête du bonhomme, à qui je donne des explications saugrenues et qui s’indigne pendant que je me sauve en riant.

Elle ne voulut pas en être non plus, le jour des vacances où j’étais entrée dans un bureau de placement, pour me faire envoyer comme cordon bleu chez de bons bourgeois qui m’auraient mise à la porte après le premier dîner que je comptais leur fabriquer.

C’était du côté de la Bastille, à un troisième étage.

Je n’avais pas de papiers (les ayant oubliés disais-je), mais le placeur se trouva tout étourdi des noms de la pègre impériale où je prétendais avoir servi, les donnant pour aller aux renseignements. Il finit par me faire pitié, et je lui jetai au nez toute l’histoire en riant comme une folle.

Quelle fantasmagorie que l’influence des noms ! Cette leçon donnée au pauvre diable valait bien le plaisir d’aller mettre un peu de poivre dans des mets sucrés pour me faire mettre à la porte par des gens habitués aux vrais cordons bleus.

Le placeur, une fois détrompé, se mit à m’invectiver, et je partis en riant comme à l’ordinaire, lui disant effrontément : — Une autre fois, ne vous laissez pas embonaparter aussi facilement avec ces noms-là.

Je poursuis l’esquisse d’une chose pendant que je la tiens ; il y en a tant de choses entassées depuis l’année du siège, qu’on n’en finirait pas.

Parmi les institutrices rencontrées rue Hautefeuille, une des plus âpres à recueillir les épaves de science était Mlle Poulin, institutrice à Montmartre. Minée depuis longtemps par une maladie de poitrine elle ne la sentait même pas, entassant le plus de savoir possible pour s’en aller dans la tombe.

Tout à la fin de l’Empire, nous avions réuni nos deux institutions, au 24 de la rue Houdon, après la mort de Mme Vollier et le départ de me cousine Mathilde qui avait passé quelques mois avec moi. La dernière fois que j’ai vu la tombe de Mlle Poulin, c’était aux jours de mai 71. Dans la nuit du 22 au 23, je crois. Nous étions au cimetière Montmartre qu’on tâchait de défendre à trop peu de combattants.

Nous avions crénelé les murs comme nous pouvions, et si ce n’eût été la batterie de la butte dont le tir trop court nous mitraillait, et des obus venant par intervalles réguliers du côté où l’on voit de hautes maisons, la position n’aurait pas été mauvaise.

Cet obus, déchirant l’air, marquait le temps comme une horloge ; c’était magnifique dans la nuit claire où les marbres semblaient vivre.

À la même compagnie, avec laquelle j’avais été le premier jour de la lutte, appartenaient ces hommes.

Plusieurs fois nous étions allés en reconnaissance, tantôt l’un tantôt l’autre ; la promenade dans cette solitude fouillée d’obus me plaisait ; j’avais voulu malgré mes camarades y retourner plusieurs fois ; toujours le coup arrivait trop tôt ou trop tard pour moi.

Nous avions déjà des blessés, et j’eus bien de la peine à obtenir de retourner, c’est-à-dire j’allai en reconnaissance malgré mes camarades. Un obus tombant à travers les arbres me couvrit de branches fleuries que je partageai entre deux tombes, celle de Mlle Poulin et celle de Murger dont le génie semblait nous jeter des fleurs.

— Sacré mille tonnerres ! me dit un de mes camarades. Vous ne bougerez plus de là.

Et ils me firent asseoir sur un banc près de la tombe de Cavaignac.

Mais rien d’entêté comme les femmes ; du reste, je n’étais pas la seule à vérifier d’étranges calcul de probabilités, et moi comme les camarades, nous ne pouvions avoir meilleure occasion. L’obus tombait toujours avant ou après que nous étions passés.

Une autre encore de la rue Hautefeuille ; c’était une toute petite, toute fluette personne, donnant des leçons de musique et qui aurait pu en donner de bien d’autres choses. Elle marchait comme dans un rythme, tout était harmonie en elle… Et d’autres et toujours d’autres qui, heureusement, sont encore vivantes.

Bien des choses avaient leur foyer rue Hautefeuille : outre les cours gratuits de l’instruction élémentaire, les écoles professionnelles, les lectures aux mères de famille, un cours de jeunes gens où j’eus un grand nombre de ces pauvres enfants qui, trop jeunes, travaillent tout le jour ou qui n’avaient jamais été en classe.

Les premiers groupements du Droit des femmes avec Mmes Jules Simon, André Léo, Maria Deraismes se réunissaient souvent à l’école professionnelle de la rue Thévenot. Tout commençait, ou plutôt recommençait, après la longue léthargie de l’Empire. Au fond de tout cela l’idée des révolutionnaires russes m’entraînait.

Au Droit des femmes, comme partout où les plus avancés d’entre les hommes applaudissent aux idées d’égalité des sexes, je pus remarquer, comme je l’avais toujours vu avant et comme je le vis toujours après, que malgré eux et par la force de la coutume et des vieux préjugés les hommes auraient l’air de nous aider, mais se contenteraient toujours de l’air. Prenons donc notre place sans la mendier. Les droits politiques sont déjà morts. L’instruction à égal degré, le travail rétribué pour les états de femme, de manière à ne pas rendre la prostitution le seul état lucratif, c’est ce qu’il y avait de réel dans notre programme.

Aujourd’hui le temps a marché, il faut pour tout la grande débâcle. Oui, les Russes ont raison, l’évolution est finie, il faut la révolution ou le papillon mourrait dans sa tunique de nymphe.

https://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9moires_de_Louise_Michel/Texte_entier

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