Traité politique de B. de Spinoza – Internet Archive – Explication Par Nicolas Tenaillon

Traité politique de B. de Spinoza – Internet Archive

Explication du texte de Spinoza extrait du “Traité théologico-politique”

« Dans un État démocratique, des ordres absurdes ne sont guère à craindre, car il est presque impossible que la majorité d’une grande assemblée se mette d’accord sur une seule et même absurdité. Cela est peu à craindre, également, à raison du fondement et de la fin de la démocratie, qui n’est autre que de soustraire les hommes à la domination absurde de l’appétit1 et à les maintenir, autant qu’il est possible, dans les limites de la raison, pour qu’ils vivent dans la concorde et dans la paix. Ôté ce fondement, tout l’édifice s’écroule aisément. Au seul souverain, donc, il appartient d’y pourvoir; aux sujets, il appartient d’exécuter ses commandements et de ne reconnaître comme droit que ce que le souverain déclare être le droit.

Peut-être pensera-t-on que, par ce principe, nous faisons des sujets des esclaves ; on pense en effet que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son caprice. Cela cependant n’est pas absolument vrai ; car en réalité, celui qui est captif de son plaisir, incapable de voir et de faire ce qui lui est utile, est le plus grand des esclaves, et seul est libre celui qui vit, de toute son âme, sous la seule conduite de la raison. »

SPINOZA, Traité théologico-politique (1670)

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles. 

Introduction / Problématisation

Auteur rationaliste du XVIIe siècle,  siècle politiquement mouvementé où la monarchie absolue se voit concurrencée par l’apparition de la monarchie parlementaire, Spinoza, auteur hollandais, est considéré comme un penseur majeur de la liberté. Dans ce texte, tiré de son Traité théologico-politique, il s’interroge sur les caractéristiques essentielles du régime démocratique. L’objet de l’extrait est de montrer que ce régime est le plus conforme à la raison et qu’il est donc le meilleur. Mais quels sont les arguments de Spinoza pour défendre une théorie qui, si elle fait l’unanimité aujourd’hui, était fort décriée en son temps ? Dans un premier temps, le penseur d’Amsterdam, montre que le peuple peut surmonter ses désirs pour prendre des décisions politiques viables. Dans un second temps, que cette capacité dépend du souverain (terme qui n’est pas synonyme de monarque) et dans un troisième temps que se soumettre à sa volonté, ce n’est pas rentrer en esclavage.

Partie I.

Dès lors que le peuple décide à la suite d’un débat, la raison l’emporte

La première partie du texte est une critique de l’objection classique faite à l’encontre de la démocratie, critique déjà présente dans la République de Platon, à savoir que le peuple n’a aucune compétence politique et que lui donner le pouvoir, c’est opter pour des décisions absurdes qui seraient fatales pour l’avenir de la cité. Spinoza objecte à cette critique (qui au XVIIe siècle est par exemple défendue par Pierre Corneille) que dès lors que le peuple décide à la suite d’un débat, la raison l’emporte. C’est que si une option est absurde, elle ne peut recevoir l’assentiment de tous. Le bon sens, pour parler comme Descartes, étant la chose du monde la mieux partagée, c’est lui qui pèsera lorsqu’il s’agira de voter. Analyste des passions, dont il est l’un des premiers à voir qu’elles sont le ressort essentiel de la vie politique, Spinoza ajoute que la démocratie a justement pour fin de ne pas laisser le désir l’emporter en politique, ce en quoi ce régime s’oppose à la tyrannie qui est précisément un gouvernement par le plaisir (songeons aux mœurs d’un Néron ou d’un Caligula). Si en effet la quête des plaisirs l’emporte, la première mission du politique (assurer la concorde et la paix) ne peut plus être assurée et « l’édifice s’écroule ». Mais comment faire pour que le peuple raisonne, pour qu’il maîtrise ses propres passions ?

Partie II.

La démocratie est une école de démocratie.

Spinoza estime que cette tâche incombe au souverain. Par souverain, il faut entendre ici l’instance qui, dans une société, détient en droit le pouvoir politique, et qui donc ne se réduit pas nécessairement à la figure du roi (en ce sens l’assemblée peut être dite souveraine).  Autrement dit, faire que le peuple réfléchisse et surmonte ses passions fait partie de la tâche de ceux qui ont été élus et qui ont appris eux-mêmes à se maîtriser. Il y a là un paradoxe, qu’on pourrait appeler celui du premier éducateur, mais qu’on peut résoudre en soutenant que la démocratie est une école de démocratie. Pour Spinoza, dès lors que ce régime est en place, il tend à se rationaliser lui-même parce que les représentants du peuple œuvrent (par exemple en généralisant l’éducation) à travers les lois qu’ils promulguent et qu’ils font exécuter pour que le peuple voie dans la loi l’expression d’une rationalité concertée. Notons que Spinoza insiste sur l’autorité exclusive du souverain en parlant de commandement et en soulignant surtout qu’il est le seul à décider du droit. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a qu’une seule raison. Aussi ce qu’il déclare être le droit n’est pas l’expression d’une décision arbitraire. Remarquons également que cet exclusivisme était déjà présent chez Hobbes qui prétendait que le Léviathan est une figure rationnelle du politique mais sans pour autant en faire l’emblème de la démocratie. Mais cette puissance du souverain n’est-elle pas dangereuse ?

Partie III.

Est libre celui qui vit “sous la seule conduite de raison”.

Cette objection, Spinoza se la fait à lui-même dans la troisième partie du texte. Il s’agit là pour lui de se démarquer de Hobbes mais aussi de rappeler ce qu’est la liberté. Le texte déborde alors le seul champ du politique. Est esclave non pas celui qui est soumis à un autre mais celui qui est « captif de son plaisir ». Conséquemment, sera libre celui qui vit « sous la seule conduite de raison ». Or vivre sous le règne de la raison, c’est accepter la loi dès lors qu’elle a été choisie en assemblée, à la suite d’un débat démocratique. L’idée de puissance n’est donc pas à abolir en politique : pour qu’un Etat fonctionne, il faut bien que le peuple accepte la loi. Ce que redira Rousseau en affirmant qu’obéir à la loi qu’on s’est prescrite est la liberté.

Conclusion.

Sur le chemin qui a mené à l’avènement de la démocratie, Spinoza occupe une place non négligeable. Par sa philosophie, il montre qu’il n’y a pas de politique là où règne l’anarchie du désir, que l’obéissance est nécessaire. Mais qu’il n’y a pas davantage d’avenir commun là où la raison fait défaut. La démocratie sera donc le régime des hommes libres et éduqués à la raison.

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