Albert Camus, l’amour et la pensée de midi – Lascia ch’io pianga

Albert Camus, l’amour et la pensée de midi

Après l’absurde et la révolte, nous abordons deux autres thèmes : L’amour et la pensée de midi, deux notions étroitement reliées l’une à l’autre.

I L’amour: amour de la Nature, amour des hommes,

amour de la vie

Camus a eu une enfance misérable, mais royale grâce à la lumière.

On trouve dans Le Premier Homme (paru en 1993) où il revient sur son enfance en Algérie, une véritable célébration de la nature, célébration de la terre, du ciel, de la chair.

“La gloire de la lumière emplissait ces jeunes corps d’une joie qui les faisait crier sans arrêt, ils régnaient sur la vie et sur la mer, et ce que le monde peut donner de plus fastueux ils le recevaient et en usaient sans mesure comme des seigneurs assurés de leur richesse irremplaçable.”

Dans Noces à Tipasa, le premier essai du recueil Noces, écrit en 1939, il évoque cette ville, le paradis méditerranéen de l’enfance. Dans les ruines de cette ville romaine qui donne en plein sur la Méditerranée, entre le temple et les sarcophages, entre les dieux et les morts, il goûte “l’heureuse lassitude d’un jour de noces avec le monde”.

Noces à Tipasa, c’est un sublime chant païen où Camus se fait poète : « Une matinée liquide se leva, éblouissante sur la mer pure. Du ciel frais comme un œil, lavé et relavé par les eaux (…) descendait une lumière vibrante qui donnait à chaque maison, à chaque arbre, un dessin sensible, une nouveauté émerveillée. La terre, au matin du monde, a dû surgir dans une lumière semblable ».

C’est cette recherche de la lumière originelle que Camus cherche tout au long de sa vie, notamment chez les Grecs. C’est le goût grec, d’un bonheur aussi immédiat que sensuel qui va faire le charme de Camus à Paris. Séducteur, il danse admirablement. « Dans les caves de Saint-Germain-des-Prés, il fallait à Sartre quelques heures de phénoménologie et beaucoup de whisky pour séduire une étudiante alors qu’il suffisait à Camus d’apparaître et de sourire », écrit Frédéric Musso dans le livre de J. F. Mattéi sur Camus et la pensée de midi.

Camus célèbre les Noces de la terre et du ciel, de la mer et du soleil, de la chaleur et du silence, du présent et et de l’éternité.

Citation page 132-133 :

“Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes …

Vingt ans plus tard, il écrit Retour à Tipasa : “Quand une fois on a eu la chance d’aimer fortement, la vie se passe à chercher de nouveau cette ardeur et cette lumière.”

Il n’aime pas la ville, qui coupe l’homme de ce lien essentiel

“Délibérément, le monde a été amputé de ce qui fait sa permanence : la nature, la mer, la colline, la méditation des soirs. Il n’y a plus de conscience que dans les rues parce qu’il n’y d’histoire que dans les rues, tel est le décret”. L’Eté – recueil d’essai dont Retour à Tipasa

Cet amour de la Nature est étroitement lié à l’amour de la vie : Il faut aimer la vie avant d’en aimer le sens. Oui, et quand l’amour de vivre disparaît, aucun sens ne nous en console.

Camus clame dans Lettres à un ami allemand son amour de la vie : « Vous acceptez légèrement de désespérer et je n’y ai jamais consenti » confessant « un goût violent de la justice qui me paraissait aussi peu raisonné que la plus soudaine des passions. »

Renoncer à vivre, c’est justement ce à quoi Camus n’a jamais consenti. Le goût de la vie, le sens des plaisirs, l’amour des femmes, la beauté du monde, sont autant de Noces dont Tipasa est à la fois l’origine et l’horizon… “Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure.”

L’amour des hommes

Si le monde résiste à toute signification, il est en revanche une symphonie pour les sens. L’amour de la nature, des symphonies du végétal, du minéral, de l’animal et de l’aérien porte en définitive à l’amour des hommes, de la nature humaine.

“On ne vit pas que de lutte et de haine. On ne meurt pas toujours les armes à la main. Il y a l’histoire et il y a autre chose : le simple bonheur, la passion des êtres, la beauté naturelle. ” Entretien avec Emmanuel d’Astier de la Vigerie.

Camus ne pensait pas pour la beauté des idées pures, mais il voulait changer concrètement la vie des gens simples. Il avait le souci du réel. Les idées étaient juste des outils pour changer la vie.

L’amour est le seul sentiment qui peut donner un goût d’infini

Deux personnages de Camus évoquent ce sentiment d’infini :
. Janine, la femme adultère de la première nouvelle de « L’exil et le royaume », découvre au travers d’une expérience extatique, face au désert, sa relation à l’infini, sa capacité d’ouverture à l’altérité. Cette expérience lui permet de revenir vers le quotidien médiocre qui est le sien. Non pas en s’y résignant, mais en sachant que, même dans un quotidien médiocre, on porte en soi cette capacité d’ouverture à l’infini.
Il ne s’agit pas ici de transcendance. Pour Camus, la transcendance est horizontale, ouverture à la vie. Janine fait une découverte profondément éthique, possible en tout homme ou toute femme, quel que soit son quotidien. Le quotidien de Janine est fait de médiocrité, une situation dans laquelle elle s’étiole et, cependant, elle garde cette capacité d’être bouleversée, en phase avec l’infini.

Dans Le premier Homme, avec cette Recherche du père, titre du premier chapitre, Jacques Cormery découvre le courage et la dignité de son père. Lui qui n’a pas connu son père, il comprend ce que c’est que d’être un premier homme.
« Il lui avait fallu apprendre seul, grandir seul, en force, en puissance, trouver seul sa morale et sa vérité, à naître enfin comme un homme pour ensuite naître encore d’une naissance plus dure, celle qui consiste à naître aux autres. »

« Naître aux autres », c’est peut-être le fond de l’exigence morale chez Camus, en donnant à la notion d’altérité sa dimension la plus grande.

II La pensée de midi

« La pensée de midi » est une expression empruntée à Nietzsche ; chez Camus, c’est le titre de la cinquième partie de L’Homme Révolté, et c’est aussi un chapitre de la sixième partie qui s’intitule Mesure et décadence.

Cette pensée de midi se fonde sur l’amour grec de la vie ; elle privilégie l’individu libre, réfléchi, altruiste, qui sait être un solitaire solidaire et s’épanouit dans l’interaction choisie avec ses semblables.

Camus l’oppose à la pensée « de minuit », née de l’idéologie chrétienne du péché, inspiratrice des sociétés d’ordre et de la colonisation des masses qui écrasent l’individu.

Midi , c’est le zénith, un point fugace d’équilibre, car on ne reste pas à midi, on passe aussitôt à un autre temps, mais il y a un moment où il est effectivement midi ; ce midi symbolise la tension des extrêmes, ce point de tension lucide et périlleuse. La pensée de midi est une belle image pour montrer cette tension. La pensée de midi invite à considérer que tout dans le monde doit trouver sa mesure. L’absolu est dangereux ; la morale elle-même est dangereuse quand elle devient intransigeante et entraîne le procès et le jugement.

Les sources et les prémisses de la pensée de midi

La pensée de midi a pris forme peu à peu, dans l’imaginaire de Camus, au sein de la constellation de figures qui ont compté pour lui : les Grecs, Jean Grenier, Friedrich Nietzsche, René Char enfin, cette “haute et belle figure de la pensée de midi”.

. l’apport des Grecs : le tragique et la recherche du bonheur

La question du tragique de l’existence n’a cessé d’habiter sa pensée. L’influence des Grecs est essentielle, car ils lui ont permis de regarder le monde sans être prisonnier de ses apparences et de ses contradictions. La conférence qu’il donne à l’Institut français d’Athènes en 1955 est à cet égard éloquente :

“L’homme d’aujourd’hui qui rit de sa révolte en sachant que cette révolte a des limites, qui exige la liberté et subit la nécessité, cet homme contradictoire, déchiré, désormais conscient de l’ambiguïté de l’homme et de son histoire, cet homme est l’homme tragique par excellence.” C’est cet homme si bien décrit par les tragiques grecs qui est le messager de la Pensée de midi.

L’expression “Pensée de midi” apparaît pour la première fois en 1948, dans un texte publié dans le numéro spécial des Cahiers du Sud “Permanence de la Grèce”, où Camus conclut : “L’ignorance reconnue, le refus du fanatisme, les bornes du monde et de l’homme, le visage aimé, la beauté enfin, voici le camp où nous rejoindrons les Grecs. D’une certaine manière, le sens de l’histoire de demain n’est pas celui qu’on croit. Il est dans la lutte entre la création et l’inquisition. Malgré le prix que coûteront aux artistes leurs mains vides, on peut espérer leur victoire. Une fois de plus la philosophie des ténèbres se dissipera au-dessus de la mer éclatante. Ô pensée de midi, la guerre de Troie se livre loin des champs de bataille !”.

Jean Grenier est, après Louis Germain, son instituteur, le premier maître en pensée et en littérature de Camus, le destinataire de ses premiers textes. Il est professeur de philosophie au lycée d’Alger, celui par qui s’éveille le goût d’écrire. Un ouvrage de Jean Grenier, Les Iles, publié en 1933, a un impact très fort sur Camus. Il dessine un paysage de l’âme et donne un élan à ce qui deviendra la Pensée de midi.

Dans sa préface à la réédition du livre de Grenier en 1959, Camus écrit : “Il nous fallait des maîtres plus subtils et qu’un homme, par exemple né sur d’autres rivages, amoureux lui aussi de la lumière et de la splendeur des corps, vînt nous dire, dans un langage inimitable, que ces apparences étaient belles, mais qu’elles devaient périr et qu’il fallait alors les aimer désespérément. […] Les Iles venaient, en somme, de nous initier au désenchantement ; nous avions découvert la culture.”

Une pensée faite de désenchantement, de désillusion, mais aussi d’un enchantement du monde.

Friedrich Nietzsche, n’a cessé d’accompagner Camus. Il garda toujours près de lui une photo. Nietzsche l’invite à s’échapper de tout “esprit de lourdeur” et à “accoucher d’une étoile qui danse”. Il y trouve, comme il l’écrit dans L’Eté, une “force de caractère, […], de celle qui résiste à tous les vents de la mer par la vertu de la blancheur et de la sève. C’est elle qui, dans l’hiver du monde, préparera le fruit”.

La pensée de midi est dans la droite ligne du Gai Savoir, cette gaya scienza venue du provençal qui donne à Nietzsche une possible issue face au nihilisme. L’absurde est là, et pourtant, la pensée de midi offre une bouffée d’oxygène. C’est une pensée solaire inspirée à Nietzsche par la découverte de Carmen et son “goût bref et périlleux de la gaîté fataliste”.  Le Gai Savoir se conclut par une belle Ode au Mistral.

Nietzsche est omniprésent dans la vie de Camus. Avant l’âge de 20 ans, Camus publie un petit texte sur la musique dans une revue de Jean Grenier, où il analyse les thèses de Nietzsche.

En 1960, lorsqu’il se tue en voiture, la serviette de Camus atterrit dans un champ : on y retrouvera le manuscrit du Premier Homme et un exemplaire du Gai Savoir.  Entre ces deux moments, Nietzsche l’accompagne sans cesse.

Il dit de lui dans l’Homme révolté : “il a reconnu le nihilisme, et l’a examiné comme un fait clinique”. Il a remplacé “tous les jugements de valeur par un seul oui, une adhésion entière et exaltée à ce monde.”

Pour Michel Onfray, la maladie fut pour Camus, comme pour Nietzsche, une “chance philosophique”.

Pour étayer ce propos, il cite l’avant-propos du Gai Savoir : “on revient de pareils abîmes né à nouveau, une peau neuve, avec des sens plus joyeux.”

Camus cultive aussi cette force issue de la maladie. Pour sa convalescence, il choisit Tipasa en 1936-1937, “sous le soleil du matin, un grand bonheur”.

Nietzsche pour Camus, c’est une impulsion à mener une vie conforme à sa pensée et à ce qu’il écrit. “Je dois à Nietzsche une partie de ce que je suis.”

Il y a deux moments particulièrement nietzschéens dans sa vie :

– l’un, avant la guerre, le pur consentement à tout ce qui est ; c’est le moment de Noces, celui de la joie, du soleil, de la mer, de la lumière ;

– Le second moment, c’est celui du consentement exclusif à ce qui dit oui à la vie et de refus à ce qui lui dit non. Ce non à ce qui dit non à la vie constitue la révolte de L’Homme révolté. L’homme révolté dit non à ce qui dit oui à la mort.

Nietzsche évoque dans Ainsi, parlait Zarathustra la « pensée de midi », l’heure de l’ombre la plus courte, où domine la lumière.

La pensée de Midi, c’est l’heure sans ombre, l’heure la plus chaude, la plus brûlante. C’est l’heure qui coupe la journée en deux, avant midi et après-midi. La pensée de midi renvoie au soleil ; elle est solaire, donc opposée à la vision nocturne. Autrement dit, elle est opposée au culte judéo-chrétien des ténèbres, qui serait la pensée de minuit, du moment le plus noir de la nuit noire.

Camus, aussi, fait l’éloge de l’esprit méditerranéen solaire contre l’esprit germanique nocturne, comme Nietzsche préférant la musique de Bizet à celle de Wagner.

– René Char, enfin, est la figure même de la Pensée de midi. Le voisinage et la proximité de René Char deviennent décisifs pour Camus, dès après la guerre. Fraternité puissante entre l’écrivain et le poète, qui se noue au cœur de la Provence, là ou l’un et l’autre recherchent la postérité du soleil. La Pensée de midi est le fruit de leur dialogue, l’expression juste pour dire leur attente et leur refus, au lendemain d’une guerre qui a meurtri l’Europe. L’un et l’autre connaissent le sens du tragique, ils y ont été confrontés de près durant la guerre et ils découvrent l’ampleur de la destruction humaine. Mais ils ne renoncent pas, car il demeure ce que René Char a appelé “la flamme d’une chandelle”. Camus le sait bien qui écrit de son ami, dans une conférence radiophonique de 1948 : “Seul survivant parmi les survivants, il reprend, à nouveau frais, la dure et rare tradition de la pensée de midi”.

LA PENSEE DE MIDI : les couples antagonistes

En 1951, alors que la Guerre froide exacerbe les tensions internationales, Camus fait de la Méditerranée, “où l’intelligence est sœur de la dure lumière”, le territoire de la mesure et de la Pensée de midi, produit d’un équilibre des tensions qu’il oppose à la lâche démesure des idéologies.

« Ce monde méditerranéen, matrice de la culture grecque et latine qui a fondé l’Europe, était pour Camus le seul monde digne d’être aimé », écrit J.F.Mattei.

Camus écrit dans L’homme révolté :

“Lorsque l’Eglise a dissipé son héritage méditerranéen, elle a mis l’accent sur l’histoire au détriment de la nature, fait triompher le gothique sur le roman et, détruisant une limite en elle-même, elle a revendiqué de plus en plus la puissance temporelle et le dynamisme historique. La  nature qui cesse d’être objet de contemplation et d’admiration ne peut plus être ensuite que la matière d’une action qui vise à la transformer. (…)

Mais l’absolutisme historique, malgré ses triomphes, n’a jamais cessé de se heurter à une exigence invincible de la nature humaine dont la Méditerranée, où l’intelligence est sœur de la dure lumière, garde le secret. (…) L’Europe n’a jamais été que dans cette lutte entre midi et minuit. Elle ne s’est dégradée qu’en désertant cette lutte, en éclipsant le jour par la nuit. (…) Bien entendu, il ne s’agit pas de rien mépriser, ni d’exalter une civilisation contre une autre, mais de dire simplement qu’il est une pensée dont le monde d’aujourd’hui ne pourra se passer plus longtemps. (…) nous autres méditerranéens, vivons toujours de la même lumière. Au cœur de la nuit européenne, la pensée solaire, la civilisation au double visage, attend son aurore. Mais elle éclaire déjà les chemins de la vraie maîtrise.

La vraie maîtrise consiste à faire justice des préjugés du temps, et d’abord du plus profond et du plus malheureux d’entre eux qui veut que l’homme délivré de la démesure en soit réduit à une sagesse pauvre. Il est bien vrai que la démesure peut être une sainteté, lorsqu’elle se paye de la folie de Nietzsche. (…)En 1950, la démesure est un confort, toujours, et une carrière, parfois. La mesure, au contraire, est une pure tension. (…) La vraie folie de démesure meurt ou crée sa propre mesure. (…) La mesure n’est pas le contraire de la révolte. C’est la révolte qui est la mesure, qui l’ordonne, la défend et la recrée à travers l’histoire et ses désordres. La mesure, née de la révolte, ne peut se vivre que par la révolte. Elle est un conflit constant, perpétuellement suscité et maîtrisé par l’intelligence. ”

La Pensée de midi est un éloge de la mesure face à la démesure. Pensée solaire, elle n’est en rien une pensée tiède. Elle cherche au contraire à midi, moment de haute lumière, un équilibre fait de tension entre des pôles contradictoires.

Pour Albert Camus, tout concept a son pendant, de même que tout élément est ambivalent.

Toute sa vie, il juxtapose les antagonismes, préférant la tempérance à l’absolu. Cette volonté révèle son désir d’harmonie pour ne plus être un étanger au monde.

Quelques couples antagonistes :

– l’absurde et le champ du possible

Avant d’être une notion philosophique, l’absurde est un sentiment.

Si l’absurde est le contraire de l’espoir, il n’a rien à voir avec le désespoir ; l’absurde est une étape sur le chemin qui mène à l’amour et à la lucidité. En cessant de croire en la chimère d’un monde qui cacherait le trésor de son sens, l’homme peut s’affranchir de la déception et se rend disponible à la profusion du présent :

“O mon âme, dit Pindare, n’aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible”. C’est l’exergue du Mythe de Sisyphe. Désirer ce qui est, goûter ce qui est donné, c’est la leçon de l’absurde.

– la révolte et la mesure

“Qu’est-ce qu’un homme révolté ? C’est un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement.”

Camus insiste sur le consentement sans lequel la révolte dégénère en violence.

Consentir à  la pondération, à la mesure et à la règle.

Ne pas refaire le monde, mais empêcher que le monde ne se défasse.

L’humanisme incarné

Dans sa pièce Les Justes, alors que l’un des héros perd figure humaine à force de vouloir le bien de l’humanité, son camarade, au moment de lancer la bombe sur le tsar, y renonce à la vue de l’enfant qu’il tuera aussi en même temps que l’oppresseur.

“J’aime ceux qui vivent aujourd’hui sur la même terre que moi et c’est eux que je salue. C’est pour eux que je lutte et que je consens à mourir. Et pour une cité lointaine dont je ne suis pas sûr, je n’irai pas frapper le visage de mes frères. Je n’irai pas ajouter à l’injustice vivante pour une justice morte.”

Camus refuse l’abstraction qui autorise de tuer au nom d’une idée.

Vaincre le suicide

La certitude de mourir un jour n’est pas pour autant une invitation à mourir prématurément.

Si le suicide est le “seul problème philosophique sérieux”, il ne saurait constituer une solution sérieuse.

La défaite du suicide est contredite par les gestes de Sisyphe qui sont à eux-mêmes leur propre fin. L’amour de la terre lui est toujours permis.

“Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. ”

Ce monde insensé, mais qui est le sien, Sisyphe l’aime sans raison. Il goûte la félicité d’être vivant. L’amour du monde.

Le refus de la bonne conscience pour accéder à la véritable justice

Exemple donné dans la Chute : c’est l’histoire d’un avocat, détracteur des déviances de la justice, qui, une nuit, entend sans réagir le cri d’une femme qui se jette à l’eau, et il voit brusquement sa vie basculer des bons sentiments vers la mauvaise conscience. Des torts du passé lui reviennent en mémoire et il ne peut plus dénoncer les turpitudes de ses semblables sans les éprouver.

Clamence est obligé de reconnaître un mal qui n’est plus extérieur à lui, et se rend disponible à la souffrance d’autrui.

C’est en abdiquant la bonne conscience qu’on accède, peut-être, à l’amour et à la justice véritables. La seule mission de l’homme est de ne pas juger ses pairs, mais de guérir et d’éprouver, autant que possible, leur propre souffrance.

L’ambivalence du soleil

Il est le soleil qui rend fou, l’implacable soleil d’Algérie dans La Peste ou l’Etranger. Mais il est aussi le soleil doux qui pose une caresse sur ce qui existe.

Le soleil est au zénith de la pensée de midi, comme la métaphore de la plus haute exigence.

Lucidité d’un esprit que l’absurde ne décourage pas. Le soleil est aussi un principe éthique, l’invitation à aimer le monde. “Le monde est beau, et hors de lui point de salut.” Noces

Un lien ambivalent avec le monde : ” J’admirais, j’admire ce lien qui, au monde, unit l’homme, ce double reflet dans lequel mon cœur peut intervenir et dicter son bonheur jusqu’à une limite précise où le monde peut alors l’achever ou le détruire.” Noces à Tipasa

Conclusion

La pensée de midi est pour Camus un cap, une façon de retrouver une boussole dans un monde déboussolé où l’homme est supposé se soumettre aux lois implacables de l’histoire.

La pensée de midi est cet éclat de conscience lumineuse, cette source bien vivante que l’absurde ne parvient pas à obstruer, définitivement. Il reste une “marge humaine”, une possibilité de combat dans le monde et dans l’histoire qu’aucun affaissement ni aucune démission collective ne sauraient jamais justifier. “Poser la question du monde absurde, c’est demander : « Allons-nous accepter le désespoir, sans rien faire ? » Je suppose que personne d’honnête ne peut répondre oui.” Camus révèle dans ses Carnets que la chute ne peut être que momentanée. “La révolte prouve par là qu’elle est le mouvement même de la vie et qu’on ne peut la nier sans renoncer à vivre”, écrit-il dans L’Homme révolté.

Camus, avec la pensée de midi, ouvre un horizon pour le XXIème siècle, au croisement des civilisations de Méditerranée et d’Europe. Sa pensée de midi, c’est un appel à ne pas subir la démesure et à rechercher sans cesse la mesure.

Lla pensée de midi, comme pensée des limites, peut inspirer un nouveau mode de vie plus respectueux des équilibres de la nature, du paysage et des hommes. Une pensée des limites qui considère que tout ce qui est scientifiquement possible ne doit pas nécessairement être réalisé. Une pensée de midi qui lutte contre l’obscurantisme, mais qui dans le même temps ne se soumet pas au soleil de la seule nécessité technologique et scientifique.

“Revenir de tout l’avenir au présent et le garnir de son espoir même jamais réalisé.” C’est ce que René Char écrit à Albert Camus le 4 octobre 1947.

Cette pensée de midi articule la politique et l’éthique.

Pour Camus, la séparation de la politique et de l’éthique justifie le mal.

Ceci explique toutes ses positions concrètes anticoloniales, abolitionnistes, résistantes, européennes, fédéralistes, pacifistes….

Camus promeut une tradition, libertaire, proudhonienne, française, pragmatique, girondine.

La passion pour la Commune, le refus de croire que la fin justifie les moyens, le rejet de toute forme d’autoritarisme, l’opposition aux totalitarismes de droite et de gauche, l’éloge du pouvoir direct du peuple etc.

Il illustre la permanence d’une tradition anarchiste française.

La pensée de Camus veut promouvoir une société « qui réalise l’individu et ne le détruit pas »; Camus la bâtit autour de deux axes : la révolte individuelle contre tout système coercitif, et la lutte pour la justice, indissociable de la liberté.

http://www.sagesse-marseille.com/culture/conferences/camus-lamour-et-la-pensee-de-midi.html

Albert Camus, LE MYTHE DE SISYPHE. ESSAI SUR L’ABSURDE: Bisogna vivere con il tempo e con lui morire.

http://www.controappuntoblog.org/2014/12/18/albert-camus-le-mythe-de-sisyphe-essai-sur-labsurde-bisogna-vivere-con-il-tempo-e-con-lui-morire/

Albert Camus : Lo straniero – The Rebel , L’HOMME RÉVOLTÉ …

“Je vis comme je peux…dans un pays malheureux” Albert Camus

L’étranger (The Stranger) : Luchino Visconti

Il Caligola di Camus | controappuntoblog.org

Albert Camus, Réflexions sur la guillotine (1957

UMANO E POLITICO tra Camus e Sartre – L’État de siège (1948 …

Il Caligola di Camus | controappuntoblog.org

Camus – Discorso di Camus, Premio Nobel per la letteratura nel

LA PESTE NELLA LETTERATURA – controappuntoblog.org

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