Abdel Hafed Benotman : Garde à vie, Marche de nuit sans lune

Merci à Maryan Harrington pour la photo d’AHB (http://www.maryan-harrington.fr/)

3 septembre 1960 à Paris et mort le 20 février 2015

Biographie

Enfance et jeunesse

Abdel Hafed Benotman est né à Paris le 3 septembre 1960. Il est le dernier né d’une famille de quatre enfants, de parents algériens arrivés en France dans les années 1950. Il passe son enfance dans le 6e arrondissement de Paris (Quartier latin). Il quitte l’école à 15 ans et connaît son premier séjour en prison à l’âge de 16 ans au Centre de Jeunes Détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. À sa sortie, il occupe différents petits emplois : livreur-manutentionnaire, chez un fleuriste et dans le prêt-à-porter.

Séjours en prison et écriture

En 1979, à la suite d’un braquage, il passe devant la Cour d’assises. Il est condamné à deux fois sept ans de prison qu’il effectue dans différents centres pénitentiaires, dont la Maison centrale de Clairvaux. Il refuse le travail obligatoire en prison, mais il participe à des ateliers de théâtre. En 1984, il est libéré et s’installe à Troyes. Il y travaille pour la compagnie de théâtre de la Pierre Noire durant deux ans et demi. Il joue des pièces d’Anton Tchekhov, Victor Hugo

Il anime des ateliers de théâtre avec différents publics : enfants psychotiques, personnes âgées, jeunes délinquants, handicapés.

En 1987, il revient à Paris et se lance dans l’écriture pour le théâtre. Il écrit deux pièces : M. Toz et La pension qui seront mises en scène par son frère et jouées à Aix-en-Provence et à Paris.

En 1990, il récidive et est à nouveau condamné à huit ans de prison pour vol. Il se rapproche de l’extrême gauche. Il se considère comme prisonnier politique et participe aux Luttes anticarcérales.

En 1993, son premier recueil de nouvelles, les Forcenés, est édité alors qu’il est encore en prison.

En 1994, du fait de l’application de la loi Pasqua sur la double peine, il est menacé d’expulsion vers l’Algérie, ne parvenant pas à faire renouveler son permis de séjour3. Il s’évade de prison et se cache (il totalisera 18 mois de cavale sur l’ensemble de ses peines de prison). Il vit sans papiers depuis 1996. En 1995, il est repris et condamné à 2 ans et 6 mois supplémentaires pour évasion, puis encore 3 ans de plus. En 1996, il est victime d’un double infarctus en prison et doit être opéré. Il est depuis en insuffisance cardiaque.

À partir des années 2000, François Guérif, éditeur chez Rivages/Noir soutient le travail d’écrivain d’Abdel Hafed Benotman et publie la plupart de ses livres4. C’est au cours de son séjour à la Maison d’arrêt de Fresnes, en 2004, que Jean-Hugues Oppel, auteur de romans policiers aux Éditions Rivage et ami depuis 2000 lui rend visite régulièrement et l’encourage à poursuivre son travail d’écriture. Il préface son livre Les Forcenés5. En 2005, alors qu’il est toujours incarcéré, Abdel Hafed Benotman épouse Francine. En 2007, il sort de prison et la retrouve. Elle ouvre le restaurant associatif « Diet Éthique » dans le 15e arrondissement de Paris. Depuis cette date, il continue d’écrire. Il participe régulièrement à des salons et festivals littéraires. En 2008, il rencontre le juge Éric Halphen, auteur de romans policiers lui aussi, dans le cadre d’un échange littéraire6. Abdel Hafed Benotman est aussi membre du jury pour le Théâtre du Rond Point des Champs-Élysées, en lien avec les conservatoires parisiens7. En 2012, il écrit et met en scène une nouvelle pièce de théâtre, Les Aimants au Vingtième Théâtre de Paris.

Engagements et luttes anti-carcérales

À partir de 1998, il entretient une correspondance avec des prisonnières dont Joëlle Aubron, militante d’Action directe, Idoia López Riaño, militante de l’ETA et Francine qu’il épousera en 2005, quand elle sera dehors et lui de nouveau arrêté. En décembre 1999, il est libéré de la Centrale de Melun.

Jacques Doillon, cinéaste, lui propose un petit rôle dans un de ses films. Il est invité pour des conférences sur l’univers carcéral, dont une en 2000 à l’École nationale de la magistrature. Son recueil de nouvelles, les Forcenés, est réédité.

En 2000, il est intervenant dans l’association « Dire et faire contre le racisme » parrainée par Danielle Mitterrand, ainsi que dans l’association « Ban public ». Il est invité dans des émissions littéraires et anime une émission de radio hebdomadaire, Ras les murs, sur Radio libertaire à Paris. Il est ouvreur au cinéma Le Méliès à Montreuil en Seine-Saint-Denis. Il joue un second rôle dans un épisode de la série télévisée Central Nuit.

En 2001, sur Fréquence Paris Plurielle, il participe à la création de l’émission de radio : L’envolée 8 en référence à Georges Coustel, le premier en France à avoir fait évader ses amis par hélicoptère. Puis un journal du même nom est lancé pour toucher les prisonniers au-delà de la région parisienne. En 2002, il écrit la Politesse des foules pour la compagnie Arcadin. Cette pièce de théâtre est jouée par les habitants des quartiers de Dreux. Une autre de ses pièces, le Numéro sortant, est jouée au Théâtre du Nord-Ouest à Paris pour l’association Ban Public. De 2004 à 2007, il effectue une dernière peine de prison à la suite de sept braquages pour un butin de 22 000 euros.

Prix et distinctions

Œuvre

Romans

  • 1992 : Les Forcenés, recueil de nouvelles préfacé par Robin Cook, Éd. Clô.
  • 2000 : Les Forcenés, réédition, Rivages/Noir
  • 2003 : Éboueur sur échafaud, roman autobiographique, Rivages/Noir
  • 2006 : Le Philotoon’s: Correspondance entre l’auteur en prison et des amis de l’intérieur et de l’extérieur, Éd. L’insomniaque
  • 2006 : Les Poteaux de torture, second recueil de nouvelles, Éd. Rivages
  • 2008 : Marche de nuit sans lune:roman, Éd. Rivages (en cours d’adaptation par Abdellatif Kéchiche)
  • 2011 : Garde à vie : roman jeunesse, Éd. Syros, Coll. Rat noir
  • 2012 : Gonzo à gogo : de Ange Rebelli et Jack Maisonneuve, roman, 2012. Éd. Tabou
  • 2012 : Coco, Éd. Écorce. Illustré par Laurence Biberfeld
  • 2012 : Un nageur en plein ciel, roman d’Idir Lorent, dont il écrit la préface. 2012, Rivages/Noir

Poésie

  • 2010 : L’Œil à clé: recueil de poésies, Éd.Domens.

Théâtre

  • 2001 : La Joue du roi, suivi de Vomitif, pièces de théâtre, Éd. L’Insomniaque.
  • 2002 : La Politesse des foules, pièce de théâtre qu’il met en scène en 2002.

Filmographie

  • 2000 : second rôle dans le film Carrément à l’Ouest de Jacques Doillon.
  • 2006 : Mordre, un film de Nourdine Halli13, adapté de la nouvelle « Les Dents blanches » tirée du recueil Les forcenés des Éditions Rivages.
  • 2011 : coscénariste du film Sur la planche de Leïla Kilani.
  • 2014 : coscénariste du film Fièvres d’Hicham Ayouch

Garde à vie

Un roman d’Abdel-Hafed Benotman
Aux éditions Syros

Les jeunes ne savent rien et les vieux font semblant de savoir…
» La prison ? La première fois ? C’est la leçon !!!
La deuxième fois ? La punition…
La troisième fois ? C’est ta maison !  »
(Proverbe carcéral anonyme)

Hugues, 15 ans, se retrouve en garde à vue suite à une virée nocturne avec un copain. Après avoir volé une voiture pour faire du rodéo, ils ont été pris en chasse par la police. Son camarade, qui était au volant, a paniqué et une course poursuite s’est engagée. Ils ont frôlé à le toucher un passant, par bonheur sans gravité, mais ont fini leur trajectoire dans un abribus. Contrairement à son complice, Hugues, coincé par sa ceinture de sécurité, n’a pas pu prendre la fuite. Suite à une perquisition menée tambour battant dans son appartement, sous les yeux horrifiés de sa mère atteinte d’un cancer, il est transporté au poste de police pour y subir un interrogatoire. Il est reçu par un officier de police judiciaire qui lui explique la gravité de ses actes et le conjure, en vain, de donner le nom de son comparse. Puis il est mis en cellule pour passer sa première nuit dans le milieu carcéral… il va devoir mesurer les conséquences de cet acte fou et se confronter à la vie en prison et à ceux, parfois cruels, qui partagent son sort…

 » Un adulte projetait sur le temps, le futur. Un adulte savait qu’après le temps de peine il y avait un avenir quel qu’il soit puisqu’il y avait eu un passé quel qu’il fût. Un adulte possédait ce savoir-là juste du fait d’avoir une mémoire bien pleine de passé et de souvenirs. Un adulte pouvait distiller un souvenir par jour de peine, par nuit de mur. Il projetait soit une bonne bouffe, soit une belle fille, soit une naissance ou un décès. Un adulte avait du stock. Tandis qu’eux ? A seize ans ? Dix-sept et même dix-huit ans ? Que pouvaient-ils projeter ? Rien ou si peu qu’en un mois de cellule la prison épuisait tous les rêves.  »

  Mon avis : Ce roman noir nous emmène dans l’univers carcéral des prisons pour mineurs. L’auteur a lui-même connu la prison (dès l’âge de seize ans, où il purgera en tout dix-sept années en trois incarcérations) et l’on peut penser que c’est presque un témoignage de son expérience qu’il relate dans ce roman poignant qui fait froid dans le dos et qui ne peut que nous interpeller… En seulement cent six pages, on suit Hugues dans son épreuve, ses regrets, ses peurs mais aussi sa terreur face à son codétenu qui ne cesse de l’humilier et de le menacer. L’écriture est fluide et d’accès facile mais rend très bien l’angoisse du héros et les moments où il se tient face au gouffre, prêt à sauter. On en vient à s’interroger sur le bien fondé des méthodes d’incarcération des jeunes ainsi que sur leur devenir. « Entre réalité fantasmée et hyper-réalisme, une description implacable de ce qui n’est rien de moins qu’une machine à broyer les êtres vivants : la prison ». J’ai vraiment un coup de cœur pour cet ouvrage si fort, et un espoir aussi. Je ne suis pas sans savoir qu’il y a, en médecine, des traitements thérapeutiques et d’autres, tout aussi nécessaires, les traitements préventifs. Je ne peux m’empêcher d’espérer que cet ouvrage aura également un pouvoir préventif, dissuasif, sur ceux qui le liront.

Public : à partir de treize – quatorze ans mais peut aussi grandement intéresser un adulte.

https://noslivresnosemotions.wordpress.com/2013/10/10/garde-a-vie/

04 mars 2015

Marche de nuit sans lune d’Abdel Hafed Benotman

marchedenuitsanslune

MARCHE DE NUIT SANS LUNE d’Abdel Hafed Benotman
Rivages Noir n° 676
Février 2008
256 pages

Dan est incarcéré à Fleury-Mérogis. Au cours d’un transfert au palais de justice, il fait une rencontre qui va changer sa vie. La rencontre, ce ” miracle de la reconnaissance “, c’est Nadine N’goma, détenue à la maison d’arrêt des femmes. Dan a eu le temps de noter sur sa main le numéro d’écrou de la jeune femme. Il lui écrira par le ” courrier intérieur “. Nadine était douée pour le chant et la danse, malheureusement elle a croisé un mauvais génie. A cause de lui, elle a été arrêtée, laissant derrière elle un petit Lou. Alors Dan fait une promesse solennelle à Nadine : quand il sortira, il s’occupera d’elle et de son fils ; il fera des démarches pour qu’elle ne soit pas expulsée. Mais les choses ne vont pas tourner comme prévu…
Ecrit en prison, ce roman nous parle de ces lieux hors du monde, de cette ” population carcérale “, dont on oublie qu’elle est constituée d’êtres humains. Avec
Marche de nuit sans lune, Hafed Benotman poursuit son œuvre de romancier noir, de rebelle écorché devant l’injustice des systèmes, de satiriste grinçant et de poète au style fulgurant.

* 21 février 2015. Consternation sur la Toile. Au lendemain de la mort brutale de l’auteur, de l’ami des fondus de polars, les témoignages, photos et articles poignants envahissent l’espace de l’internet.

* 15 juin 2013. Lors du Salon Polar à la Plage du Havre, je rencontre Abdel-Hafed Benotman, on discute une quinzaine de minutes autour de ses livres ! Sa gentillesse naturelle et communicative m’a subjugué. La passion pour ses livres aussi. Il a été surpris quand je lui ai demandé de me conseiller un de ses romans puis a choisi  Marche de nuit sans lune en me livrant méticuleusement et avec passion la trame de son roman. Inoubliable !

* 04 mars 2015. Je franchis le pas. File dans ma bibliothèque, prend le bouquin dédicacé et me décide à le lire. En voici un court résumé, c’est un peu ma façon de lui rendre hommage.

Daniel se retrouve en cellule de prison comme n’importe quel délinquant à travers l’hexagone sauf que le destin lui a fait croiser intempestivement lors de son transfert à Fleury Mérogis Nadine N’ Goma. Beauté noire aux formes impeccables se rendant forcée dans les geôles de la MAF*. Echange de regards, échange de numéro d’écrous, puis échange de courriers. Et c’est là que leur rencontre devient au fil des écrits, idyllique. Dan c’est plutôt la prose et le coeur dans l’écriture, Nadine c’est plutôt le cœur tout court. Son passé ne lui ayant pas laissé le loisir de faire mieux, mais en prison contre quelques menus services rendus, une collègue peut aisément vous aider.

Les échanges par le courrier intérieur permettent aussi de mieux se connaître et Dan affirme son anticonformisme en refusant certains principes communautaires locaux. Ce qui lui vaudra évidemment des ennuis. Mais qu’à cela ne tienne, Dan voit poindre enfin la date de sa libération aux dépends de sa compagne qui devra, elle, encore patienter un bon bout de temps dans la boîte ** de la banlieue parisienne.  Connaissant désormais bien la vie de Nadine il lui fait la promesse de l’attendre au-dehors, de s’occuper d’elle, de son fils et de régulariser leur situation.

Au-dehors et de par le contact des proches de Nadine il s’agira d’un déroulement imprévu dans l’ordre des événements. Dan y verra un peu plus clair dans les raisons d’enfermement de l’élue de son cœur. Un flic ripoux limite esclavagiste lui en fait voir des vertes et des pas mûres à la belle gabonaise ! Avant de respecter sa première promesse, il en profilera une autre en urgence et elle sera solennelle : Je vais le tuer !

C’est bel et bien de l’univers carcéral qu’il s’agit dans ce roman. Abel Hafed Benotman nous dépeint bien plus qu’une caricature minimale. On est dans le vrai***  à nous en faire sentir les odeurs poisseuses des cellules, les bruits d’écrous ou encore de cris de désespoir d’un détenu désabusé de son sort voire abusé de son corps.
L’auteur dont on connaît son opposition à toute sorte d’enfermement assure d’une plume parfois argotique mais le plus souvent teintée de prose et de poésie. Si, si ! Abdel-Hafed Benotman a une plume magnifique ciselée et de temps à autre qui se faufile comme cela à brûle pourpoint  dans le lyrisme. Pourtant pas évident de manier l’exercice quand la trame du livre annonce une satire grinçante du milieu carcéral, de ses causes à effets, de son immobilisme et de ses injustices.
L’auteur nous emmène avec lui dans sa contestation du système en place au sein de la « zonzon ». Enfin ce roman est hautement autobiographique même si l’auteur assure en début de pages que les personnages sont purement fictifs. Dans certaines situations Nadine est bel et bien Francine et Dan notre feu Hafed.

Enfin pour conclure, chers lectrices, lecteurs de CCBDL, si ce résumé de ce roman  ne vous a pas convaincu, je vous propose de lire la dédicace que m’avait gratifié Abdel-Hafed Benotman sur la première page de cette marche de nuit. C’est d’une beauté….

” POUR BRUNO
Voila l’histoire d’une femme en lutte qui a besoin de la lumière de tous pour avancer dans le noir.
Merci de l’éclairer d’un peu de fraternité.
AMICALEMENT.

Hafed.”

Bonne lecture.

Bruno

EXTRAIT :

« Jadis, du temps d’avant les exécutions dans les couloirs de la mort, dans le sud profond des Etats-Unis, on pendait les Noirs et on y mettait le feu. Aujourd’hui dans le centre-ville de la capitale de la France, on les étrangle socialement, pendus économiquement, et ils finissent brûlés vifs hommes femmes et enfants dans des logements de misère. »

  • *MAF .La prison de Fleury Mérogis est composée de cette manière, la Maison d’Arrêts des Femmes  et celle des Hommes. C’est lors d’un transport en fourgon cellulaire que Dan aura le temps de noter le n° d’écrou de Nadine sur sa main.
  • ** Le terme boîte  (par exemple Mathilda est boîte) est employé à multiples reprises par l’auteur. Lien : http://www.languefrancaise.net/bob/detail.php?id=8687
  • *** L’auteur a séjourné plusieurs fois en milieu carcéral et nous délivre un fascinant état des lieux.

http://cecibondelire.canalblog.com/archives/2015/03/04/31646183.html

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