Capitale de la douleur de Paul Eluard : Au cœur de mon amour

Capitale de la douleur est le premier recueil de Paul Eluard, il parait en 1926. Ce recueil comprend une centaine de poèmes, dont les deux tiers avaient déjà été publiés dans des plaquettes antérieures. Le titre originel prévu était “L’art d’être malheureux” mais au dernier moment Eluard lui substitua “Capitale de la douleur“, appellation plus poétique. Mais quelle est cette Capitale, Paris où réside le poète et où il vit douloureusement ou Gala, son épouse, qui est est le coeur de son royaume et qui le fait tant souffrir en raison de ses passions. On peut aussi comprendre le titre comme le superlatif de la souffrance, de la douleur. Le titre est en soit une énigme. Mais ce titre énigmatique ne doit pas masquer les cris de désarroi qui retentissent à chaque vers et l’emportent sur les chants de bonheur amoureux. Les jours sont nostalgiques, des jours de pluie, de miroirs brisés, de malchance. Mais Eluard ne capitule pas devant l’adversité, il veut dissiper la “brume de fond” où il se meut et la fin du recueil est résolument optimiste “Je chante pour chanter, je t’aime pour chanter”, il appelle le “grand jour” ou il respirera “les parfums éclos d’une couvée d’aurores”. Le recueil a bien été écrit par un être qui, à de nombreux indices, se savait délaissé par celle qu’il aimait. Gala venait de rencontrer le peintre Salvador Dali et quittera Eluard.

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Plan du commentaire composé

Au coeur de mon amour est le second poème de la seconde section “Mourir de ne pas mourir” de Capitale de la douleur qui fait suite à “L’égalité des sexes”. Eluard athée, prend le titre de son recueil, “Mourir de ne pas mourir” à un poème d’une mystique Sainte Thérèse d’Avila qui écrit à Jésus “Je vis sans vivre en moi, et j’aspire à plus haute vie, et que je meurs de ne mourir pas”. Ce poème est divisé en trois parties séparées par un symbole, la première partie composée d’un quatrain est une image de bonheur, la seconde partie composée de trois quatrains et d’un tercet, en fracture de la précédente, est une image de désespoir, de douleur au centre du recueil et enfin une dernière partie, mélange équilibré de deux tercets, deux quatrains, et deux quintils, optimiste, d’espoir dans la venue d’un avenir meilleur créé par le rêve. La partie centrale, au coeur du poème rappelle la douleur du poète abandonné par sa muse Gala, douleur qui compose le titre principal du recueil d’Eluard “Capitale de la douleur”. “Mourir de ne pas mourir” est également dédicacé à André Breton, un poète surréaliste auteur des “Champs magnétiques”, un recueil expérimental d’écriture automatique, pure et inconsciente, de contemplations nocturnes passives. La femme, muse du poète, est sa lumière, une lumière continue qui aide le poète à traverser la nuit obscure. Dans son sommeil, qu’Eluard justifie, l’homme rêve, libéré des pensées inconscientes mais peut aussi recréer un nouvel amour après avoir effacé de son inconscient toute trace du précédent dont il avoue s’être trompé “Si c’était à recommencer, je te rencontrerai sans te chercher“. Tous les poèmes de Capitale de la douleur et celui ci n’y échappe pas décrivent une réalité intime, celle d’Eluard et de Gala, une sorte de journal sentimental délibérément brouillé dont le détail parfois se dérobe sous l’ambivalence.
1-l’ambivalence du rêve, les dangers du sommeil, hallucinations
Eluard a pendant quelques temps, par solidarité avec le groupe des surréalistes, joué leur jeu visant à valoriser les écritures directes de l’inconscient que sont le rêve et l’écriture automatique, avant de s’en éloigner. Le rêve pour les surréalistes court circuite l’influence néfaste de la réalité, pour une poésie plus pure, plus naturelle. Ce poème confirme l’éloignement des surréalistes en montrant les avantages mais aussi les dangers du rêve. Dans la première strophe Éluard crée une image stéréotypée de bonheur avec les oiseaux, la lumière, les boules de gui liées à la beauté de la nature, une image de rêve, chimérique, trop idéalisée, embellie, bien loin de la réalité. En contraste, les parties suivantes parlent des désirs inconscients du poète, qui loin d’être parfaits ont un coté sombre. La lumière, les yeux, les boules de gui, le soleil composent une nature heureuse et généreuse, pure, innocente symbolisant le contentement mais aussi l’amour avec le chant des oiseaux et la symbiose nature et lumière. Refusant de perdre les yeux aimés, ceux de Gala, sa muse poétique, d’en accomplir le deuil, le poète ici les hallucine dans son inconscient, transfigure l’objet de son désir, la femme, oeil et parole, regard et chant. Dans la première strophe il y avait une synthèse poétique entre le ciel et la terre représentée par une nature reliant la terre au ciel où sont présents les arbres avec leurs fruits et les oiseaux. C’est une nature fertile métaphore de la femme inspiratrice qui s’incarne dans les images d’une mère nature, d’une poussée végétale, de chants d’oiseaux métaphore de l’inspiration poétique. Eluard a recours dans son poème à un vocabulaire végétal apaisant, celui de l’endormissement, jardin, paysage, arbres, oiseau. Mais ce ne sont que des prototypes du bonheur et la réalité peut être bien différente. Les yeux ne sont plus illuminés et les oiseaux peuvent chanter leur colère pour effrayer un rival ou chanter d’ennui si aucune compagne ne répond à son appel. Eluard ne veut plus affronter cette réalité sans grâce en se levant. Ce poème a probablement été écrit lors de sa fugue solitaire autour du monde par laquelle il voulait “tout effacer”. Il préfère différer ce moment pour affronter la réalité, garder le lit qui le renvoie à l’amour, à la présence féminine. Les premières images qui défilaient étaient belles et l’invitait à continuer ce moment privilégié, celui du sommeil. Mais chez Eluard cependant le rêve est ambivalent, car il peut vous entrainer dans un univers paradisiaque, mais sa perfection est celle du néant, de l’irréalité. A y regarder de plus près, les rêves, ces défilés d’images inconscientes manquent de précision et on les oublie vite. L’aube ou le début du jour qui marque la fin de la nuit est sans grâce et prend l’apparence de l’oubli. Le sommeil anesthésie le dormeur “il n’a ni froid ni chaud”, mais le moment préparatoire à l’endormissement qui estompent les formes a ses faveurs “quand il s’est endormi, tout l’étonnait, il jouait avec ardeur, il regardait, il entendait. Le sommeil empêche la relation à autrui qui est capitale pour lui avec la femme, sa lumière sur le monde. Mais la plénitude amoureuse suppose une expérience symétrique et le bonheur est le résultat d’une conquête et ne peut se trouver dans la solitude d’un amour perdu. La solitude de son existence est source d’angoisse liée à l’enfermement, à la nuit. Les femmes qu’il voit dans ses rêves sont les femmes du jardin, sous entendu vues dans un jardin public et boisé qu’il doit fréquenter et qu’il s’imagine désireuses de l’embrasser comme l’arbre embrasse son ombre. Eluard souffre de la solitude depuis le départ de la femme qu’il aimait, Gala et veut essayer de trouver la meilleure solution pour adoucir sa souffrance. Comment prendre plaisir à tout ? Doit-il effacer de sa mémoire les merveilleux moments passés et repartir à la conquête d’un nouvel amour ? Doit-il rayer ses lamentations, ses soupirs qui lui sont venus dans la nuit. Doit-il taire les désirs inconscients qui lui sont venus de ses divagations nocturnes. Il a envie de dormir, de flâner mentalement, il y trouve son bonheur et son équilibre. Eluard pour remplacer son amour défunt en invente un autre, il hallucine, il rêve à une nuit d’amour, s’invente des femmes qui cherchent à le séduire, rien d’anormal, les arbres embrassent bien leurs ombres. Il s’imagine une femme au coeur pâle dans des habits de nuit et découvre l’amour, malgré l’absence de partenaire, de seins palpables.
2-Le sommeil créateur d’un nouvel avenir
La troisième partie du poème commence par une phrase négative complexe “Je n’ai jamais rêvé d’une si belle nuit”, une nuit dans lequel le poète est embrassé par plusieurs personnes et constitue leur soutien. La rêverie est toujours la création d’un monde d’illusions dans lequel tout est magnifié. On rêve d’être aimé, d’avoir du succès. Les rêveries sont sources de mille souhaits de bonheur. Si la première strophe livrait au lecteur l’émerveillement du premier venu, la vision du monde éluardien est ici unitaire, moniste, qui nie toute forme de dualisme, de séparation matière et esprit, l’âme et le corps, la pensée et le langage. L’amour d’Eluard transcende le rêve et le quotidien, et chez lui la relation amoureuse implique la fusion des deux êtres. Matérialiste, le monde d’Eluard ne baigne pas dans une lumière uniforme qui aurait la fraîcheur de l’innocence. Dans l’une des strophes, la femme qui a le coeur pâle et qui met la nuit dans ses habits, dont les seins sont impalpables représente Gala, la femme qui ne vivait que la nuit, et montre la détresse du poète autant dans sa solitude dans la vie lorsque la communion des deux êtres n’est plus présente. La femme aidait le poète à traverser la nuit, à apprivoiser l’obcurité. Ce poème comme tous ceux du recueil “Mourir de ne pas mourir” sont des poèmes purement spirituels, des divagations nocturnes de l’inconscient, parfois mystiques. Eluard en appelle dans ce poème au ciel, aux constellations qui ont été les témoins de son amour “Vous connaissez la forme de sa tête”, ici tout s’obscurcit, mais le poète dans sa flânerie recompose ses moments d’amour passé avec le rose aux joues de l’émotion amoureuse qui le parcourait alors. Comment prendre plaisir à tout ? Comment oublier le précédent amour avec Gala et renaitre avec un nouvel amour idéalisé par le rêve ? Il va changer de pronom personnel, le “je” cède la place au “il” comme s’il s’agissait de deux personnages différents, l’un serait acteur, l’autre, celui qui rêve, le spectateur. Eluard parle de la nuit qu’il a vue dans ses rêves. “Je n’ai jamais vu une nuit si belle””, la nuit est belle parce que c’est la nuit, le moment qu’il préfère ou préférait lorsque Gala était encore à ses cotés et parce qu’il rêve à une sorte d’idéalisation d’amour sans la présence de l’autre. Il y a dans ses pensées nocturnes des femmes qui le désirent et l’une d’elle lui fait penser que l’amour a découvert la nuit, et la plus belle des nuits n’est pas la nuit réelle entre deux amoureux mais la nuit rêvée, spiritualisée. Amour et sommeil s’entremêlent intimement, fusionnent et Eluard insiste sur la puissance du sommeil en utilisant des répétitions “Il dort, il dort, il dort, il dort”. Le “il” désigne l’homme de tous les mouvements, de tous les sacrifices, de toutes les conquêtes, qui désormais fatigué a aujourd’hui besoin de repos, ce qui explique son départ. Cet homme qui dort a laissé échappé son amour prisonnier mais cet échec n’a pas entrainé sa mort, c’est un simple sommeil, une pause dans son existence. La solitude a paralysé le poète, l’absence d’amour a provoqué chez lui l’inertie, l’absence de goût à la vie, mais il n’est pas mort, il est immobile, il dort, reprend des forces pour un nouveau départ. Il regrette les sacrifices passés avec son ancien amour Gala et se reproche de l’avoir prise comme femme, il le dit explicitement que si c’était à refaire, il ferait sa rencontre mais qu’il ne chercherait pas à la revoir, allusion à leur séparation pendant deux ans entre les amours passionnées de 1913 et les fiançailles de 1916.
Conclusion
Même si les détails de ce poème peuvent se dérober et paraître brouillés, il s’agit d’un poème de circonstance qui s’inspire d’une réalité, celle d’un homme qui décide de partir loin, sur la mer pour effacer toute trace de l’échec d’un précédent amour comme le sillage d’un bateau s’efface à la surface de la mer. On est sensible à ce cri déchirant du coeur qui essaie de se justifier, de trouver les raisons de son échec et d’envisager un nouvel amour plus idéalisé, lorsqu’il aura effacé, rayé de sa mémoire toutes les traces douloureuses du précédent.

Au cœur de mon amour

Paul ÉLUARD

Recueil : “Mourir de ne pas mourir”

Un bel oiseau me montre la lumière
Elle est dans ses yeux, bien en vue.
Il chante sur une boule de gui
Au milieu du soleil.

***

Les yeux des animaux chanteurs
Et leurs chants de colère ou d’ennui
M’ont interdit de sortir de ce lit.
J’y passerai ma vie.

L’aube dans les pays sans grâce
Prend l’apparence de l’oubli.
Et qu’une femme émue s’endorme, à l’aube,
La tête la première, sa chute l’illumine.

Constellations,
Vous connaissez la forme de sa tête.
Ici, tout s’obscurcit :
Le paysage se complète, sang aux joues,
Les masses diminuent et coulent dans mon cœur
Avec le sommeil.
Et qui donc veut me prendre le coeur.

***

Je n’ai jamais rêvé d’une si belle nuit.
Les femmes du jardin cherchent à m’embrasser —
Soutiens du ciel, les arbres immobiles
Embrassent bien l’ombre qui les soutient.

Une femme au cœur pâle
Met la nuit dans ses habits.
L’amour a découvert la nuit
Sur ses seins impalpables.

Comment prendre plaisir à tout ?
Plutôt tout effacer.
L’homme de tous les mouvements,
De tous les sacrifices et de toutes les conquêtes
Dort. Il dort, il dort, il dort.
Il raye de ses soupirs la nuit minuscule, invisible.

Il n’a ni froid, ni chaud.
Son prisonnier s’est évadé — pour dormir.
Il n’est pas mort, il dort.
Quand il s’est endormi
Tout l’étonnait,
Il jouait avec ardeur,
Il regardait,
Il entendait.
Sa dernière parole :
« Si c’était à recommencer, je te rencontrerais sans te chercher. »

Il dort, il dort, il dort.
L’aube a eu beau lever la tête,
Il dort.

http://eluardexplique.free.fr/capitale/aucoeur.html

La curva dei tuoi occhi fa il giro del mio cuore,

Un giro di danza e di dolcezza,

Aureola del tempo,culla notturna e sicura,

E se io non so più tutto quel che ho vissuto

E’ perché i tuoi occhi non mi hanno sempre visto.

Foglie di luce e spuma di rugiada

Canne del vento e sorrisi profumati

Ali che coprono il mondo di luce

Battelli carichi del cielo e del mare.

Cacciatori dei rumori e fonti dei colori

Profumi dischiusi,nidiata d’aurore

Che giace  sempre sulla paglia degli astri,

Come il giorno dipende dall’innocenza

Il mondo intero dipende dai tuoi occhi puri

E tutto il mio sangue scorre nei loro sguardi.

Da “La capitale de la douleur”,1926.


Francis Poulenc – Cinq poèmes de Paul Éluard

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